***(entre les deux // figurent les retours en arrière)***
Il n’avait pas été aisé de sortir de la ville. Les rues étaient en pleine ébullition. Une expédition militaire se préparait et tout était prétexte à se retrouver sur le pas de sa porte à commenter les récents événements en invitant ses voisins à boire un verre et à trouver des raisons à cette soudaine agitation. Les rumeurs allaient bon train et étaient toutes plus farfelues les unes que les autres, chacun y allant de son petit grain de sel, enflant et déformant les propos.
Ce matin là, plus que tout autre, la place du marché battait son plein et dans toutes les bouches il n’était plus question que de ça.
-Le plus dur reste à faire, commenta Kratos à l’angle d’une sombre ruelle, contemplant les allées et venues des badauds sur la place. Nous sommes obligés de passer par cette place si nous voulons sortir de la ville… cela ne va pas être aisé de se mêler à la foule, il y a des gardes partout.
Son regard acéré embrassa l’ensemble de la place publique avec ses étals colorés malgré le manque évident de produits. Les marchands essayaient de garder leur optimisme légendaire et redoublaient d’effort de vente pour écouler leurs stocks à des prix exorbitants. Mais que faire ? Il leur fallait bien vivre eux aussi.
L’œil morne, les matronnes houspillant leur marmaille, et les cuisinières, passaient devant les étalages sans rien acheter, pour la plupart. Ce matin pourtant l’ambiance était plutôt à la fête. Si des troupes partaient en campagne, c’était, pour sur, dans le but de régler ce problème de monstres et mettre fin à la pénurie de nourriture.
Les blocus aux portes de la ville pour trouver le groupe de la fausse élue de la régénération (c’était ainsi en effet que le Pontife avait présenté Colette et ses amis afin de faire passer sans trop de protestations ses mesures de sécurité draconiennes auprès du bon peuple de Meltokio) serait sans aucun doute levés. Pour la première fois depuis des semaines, l’avenir s’annonçait sous de meilleurs auspices et l’on pouvait sentir une petite pointe d’espoir retrouvé poindre dans l’atmosphère et ce, en dépit de la présence de nombreux gardes pontificaux.
-Il vaudrais mieux se séparer, dit Kratos en se retournant vers ses compagnons. Ils recherchent un groupe de huit fuyards. Nous aurons plus de chance en étant isolé. Préséa, tu vas prendre l’aubergiste et un de ses enfants avec toi et tu vas dans cette direction, dit-il en montrant le nord de la place.
Préséa hocha la tête.
-Toi, Zélos, tu empruntera la sortie sud avec son mari et le deuxième gamin, rajouta-t-il. Moi je prends l’invocatrice.
Zélos fronça les sourcils et ses bras resserrèrent leur emprise autour des cuisses de Sheena, toujours sur son dos.
-Et pourquoi ça ? Je peux très bien m’occuper d’elle. Pourquoi devrais-je te la confier ? Après tout tu surgis de nulle part, tu donnes des ordres et tout le monde t’obéit…Tu connais cet endroit comme ta poche, mieux que moi d’ailleurs, comme si tu avais toujours vécu ici, mais pourtant il ne me semble pas t’avoir déjà vu dans le coin. Et saches que je m’en souviendrai si cela avait été le cas. Désolé mon vieux mais je ne vois pas pourquoi je te ferais confiance. Le seul qui pourrait répondre de toi et confirmer tes dires, c’est Lloyd, et il se trouve qu’il n’est pas là…
-Ca y est ? Tu as fini ton caprice jeune blanc bec ? le coupa le mercenaire avec une pointe d’exaspération dans la voix. Il se trouve que je suis le mieux placé pour faire sortir cette fille discrètement de la ville. Si tu la gardes sur ton dos, étant donné qu’elle ne peut pas marcher, tu auras tôt fait d’être repéré. Et si il faut prendre la fuite, son poids te ralentira plus sûrement qu’un boulet en fonte accroché au pied et elle retombera entre les mains auxquelles on vient de l’arracher et toi avec. C’est cela que tu souhaites ? Foutre en l’air cette expédition de sauvetage à cause de ton orgueil imbécile ? De ta fierté ? Sache que cela n’a jamais sauvé personne, bien au contraire !
Bon, on ne va pas tergiverser cent sept ans. A rester ici nous allons finir par être découvert. Passe la moi !
Zélos tremblait de rage et de frustration. Mais bon sang qui était donc réellement ce type ? D’un autre coté, il lui fallait bien reconnaître qu’il n’avait pas tort. Conserver Sheena sur son dos pour traverser cette place bondée de monde n’était pas très malin si l’on voulait passer inaperçus. Mais c’était pour le principe. Pas question de la confier à un inconnu. Il ne pouvait s’y résoudre. Il s’était promis tout à l’heure de la protéger et de veiller sur elle, ça n’était pas pour l’abandonner maintenant…
-Allez, je ne vais pas l’abîmer ta précieuse petite fiancée…
-Quoi !? Ce n’est pas ma précieuse… et puis d’abord ce n’est pas du tout ma fiancée !!! Rien à voir enfin !!! se défendit l’Elu.
Quelle idée ! Je n’ai jamais rien entendu d’aussi stupide ! Il est normal que je ne confie pas un de mes compagnons blessé à un parfait inconnu qui s’improvise sauveur d’un jour ... Elle, ma fiancée, c’est trop drôle… elle n’est pas mon genre de femme de toute manière ! Et…
-Tout va bien Zélos, fit alors Préséa en posant une main sur son avant bras. Il veut juste nous aider et je pense que nous devrions lui faire confiance. C’est ce que Lloyd ferait, j’en suis certaine. Et puis nous n’avons pas bien le choix, je pense.
Zélos hésitait encore mais pas question qu’ils s’imaginent quoique se soit entre lui et l’invocatrice. «Protégeons nos arrières… désolé Sheena » pensa-t-il. Et il posa doucement à terre la jeune femme qui ne cessait de trembler. Se relevant, il foudroya du regard Kratos, impassible.
-Bien, dit-il un peu sèchement. Quel est le point de rendez-vous ?
-L’Abbaye du Sud Est, lui répondit Kratos sur le même ton.
-L’abb … l’Abbaye du Sud Est… ? pâlit l’Elu de Tésséha’lla. … bon… très bien. On se rejoint là bas. Allez suivez moi vous autres !
Puis se retournant vers Préséa et son petit groupe, il ajouta :
-Bonne chance Préséa…
L’intéressée lui répondit par un petit signe de tête et partit dans la direction que lui avait indiqué Kratos quelques instants auparavant. Zélos la regarda s’éloigner et se mêler à la foule, avant de quitter lui aussi leur cachette momentanée. Il jeta un dernier regard de ses yeux de glace au mercenaire, qui avait pris à présent Sheena dans ses bras musclés. Celle-ci gémit à l’instant où Zélos s’apprêtait à partir et il dû se faire violence pour ne pas faire demi tour et la reprendre tout contre lui. Faisant abstraction de tout ce qui l’entourait, il s’élança à son tour dans la cohue, talonné par le petit garçon de l’hôtelière et son père.
-Bien, c’est à nous à présent…
Le mercenaire ferma les yeux et une aura blanche se mit à briller autour de son corps. Une paire d’ailes immatérielles, semblable à celle de Colette, sauf qu’elles étaient de couleur bleue, apparut l’instant d’après dans son dos.
-Accroches toi bien, murmura-t-il à l’oreille de la jeune invocatrice. Je ne tiens pas à aller te chercher si tu tombes de là haut.
Kratos resserra ses bras autour de la taille de Sheena tandis qu’elle passait ses mains autour de son cou, et donnant un violent coup de talon au sol, l’ange du Cruxis s’envola, emportant dans les airs la jeune femme.
Il y avait très peu de chance pour que quelqu’un lève le nez en l’air et les aperçoivent. Néanmoins, Kratos battit des ailes avec force afin de s’élever le plus possible et d’être hors d’atteinte. Se maintenir ainsi dans les airs n’était pas chose aisée surtout lorsque l’on a quelqu’un qui s’accroche à votre cou et qui ne tient pas en place. Il avait beaucoup de mal à conserver la jeune femme contre lui. Celle-ci qui, jusqu’à présent avait garder ses paupières closes durant tout le temps qu’avait duré l’ascension, ouvrit un œil puis l’autre. Elle ne pu réprimer un hoquet de surprise en découvrant la distance entre eux et la terre ferme, et raffermit sa prise autour de Kratos.
La plaine de Meltokio et ses petits hameaux paysans s’étendaient sous ses pieds, et elle pouvait distinguer, aussi minuscules que des fourmis, les rares travailleurs sur leur terre ainsi que les quelques voyageurs empruntant la grande route. Le vent soufflait avec force dans ses cheveux détachés qui fouettaient son visage, achevant de glacer son corps transi vêtu de la simple tunique de lin blanc que lui avait donné l’aubergiste après son plongeon dans les égouts.
Cette façon de voyager dans les airs était bien plus impressionnante que l’utilisation des ptéroplans. Là au moins, on pouvait contrôler la machine et il n’y avait pas le vide directement en dessous. Elle n’était pas sûre d’apprécier le vol libre contrairement à Kratos, qui lui, affichait un visage serein et confiant comme si il se retrouvait dans son élément (4 000 ans de pratique, évidemment ça aide^^). La morsure du vent n’avait nullement l’air de le gêner et après s’être rapidement repéré, il pris la direction du sud est, vers une petite bâtisse au bord d’une falaise, entraînant avec lui une Sheena pas très rassurée. Après tout, théoriquement il était leur ennemi étant donné qu’il oeuvrait pour le Cruxis, et rien ne l’empêchait de la lâcher dans le vide. Cette idée acheva de l’inquiéter et elle se crispa d’avantage tout en tentant de contrôler ses incessants tremblements.
Ils volaient ainsi depuis quelques minutes lorsque que Kratos aperçut une forme noire s’avançant dans sa direction. Cette forme ailée se rapprochait de plus en plus vite et laissait le mercenaire perplexe. Un gigantesque oiseau noir apparut alors dans son champ de vision. C’était la première fois que Kratos voyait une telle bête. D’aspect reptilien, elle avait des yeux rouges comme la braise et faisait bien dans les deux mètres d’envergure. Seule la tête portait des plumes aussi sombres que le charbon, le reste du corps, grisâtre, semblait nu de prime abord mais était en réalité couvert d’écailles luisantes, et ses espèces d’ailes étaient terminées par d’immenses serres aux griffes tranchantes. Des os blanchis par le soleil faisaient saillie le long de son échine, la faisant ressembler à un étrange dragon. Seul le bec, très allongé et pourvu d’innombrables dents pointues arrêtait là la ressemblance avec la créature mythique. La bête volante poussa un long cri strident, faisant grimacer les deux humains de douleur, et Kratos ne réalisa que trop tard qu’elle leur fonçait dessus. Pas le temps d’esquiver ! Elle les heurta de plein fouet, enfonçant profondément au passage, les griffes de ses pattes postérieures dans l’épaule droite du mercenaire. Sous le choc de la collision et de la douleur, celui-ci ouvrit les bras dans un réflexe et Sheena bascula dans le vide avec un hurlement d’effroi.
Kratos sorti son épée du fourreau et fendit l’air devant lui afin de se débarrasser de son attaquant. Peine perdue, le monstre poursuivait sa route et était déjà hors de porté.
-Merde ! jura-t-il entre ses dents avant de s’élancer à tire d’ailes en direction de la jeune femme en chute libre.
Sheena voyait la silhouette du mercenaire s’éloigner à une vitesse folle et le sol se rapprocher d’autant plus rapidement. Un instant, elle resta tétanisée par l’horreur de sa situation. Dans quelques instants, elle s’écraserait sur le sol. Impuissante, elle ne pourrait rien faire pour empêcher l’inévitable de se produire. Comment avait-elle pu en arriver là ?
Il parait que lorsqu’on est sur le point de mourir, votre vie défile devant vos yeux en quelques secondes, comme une mise au point sur ses actes, bon ou mauvais, les joies, les peines, les regrets, avant de cesser d’exister.
Comme dans un rêve, Sheena entrevoyait par flashs une sombre forêt, la forêt de Gaorrachia probablement ; une sensation de chaleur et de bien être. Puis la forêt devint hostile ; des flammes ; un homme qui la prend dans ses bras protecteurs. Le temple de Volt ; un immense éclair blanc. Des gens lui crachant leur haine et leur colère au visage. Désespoir et solitude immense. Nouvel espoir. Corrine ; sa disparition au temple de Volt. Chagrin intense. Kuchinawa. Ses nouveaux amis ; Lloyd et Colette lui faisant un petit signe de la main ; Kratos ; puis Régal, Raine, Génis et Préséa apparurent à leur tour, un doux sourire illuminant leur visage. Et enfin, un homme à la chevelure flamboyante se tenant de dos. Zélos. Se retournant, il tendit la main vers elle avec un regard triste et secoua la tête en signe de négation, accablé avant de s’éloigner sans un regard en arrière.
Une larme pris naissance au coin de l’œil de Sheena et s’échappa dans les airs…
La fin était irrémédiable.
Non ! Il y avait encore quelque chose qu’elle pouvait faire !
La peur fit recouvrir un peu de lucidité à la jeune femme et rassemblant son courage, elle pria Eole, le dieu du vent tout en lançant l’invocation rituelle du vent. La moindre goutte de Mana de son corps fut mobilisée et les cercles magiques d’invocation se dessinèrent autour d’elle.
-J’ai besoin de votre aide ! Apparaissez ! SYLPHE ! FEAIRIE ! YUTIS ! cria-t-elle. [1]
Aussitôt les trois esprits originels du vent se matérialisèrent et déchaînèrent un puissant souffle d’air sous leur maître afin de ralentir sa chute.
Voyant qu’il ne la rattraperait pas à temps Kratos fit disparaître ses ailes d’ange et plongea en chute libre en direction de Sheena tel un rapace fondant sur sa proie. Il vit son corps briller d’une aura verte tandis que des cercles magiques se traçaient dans les airs formant des entrelacements complexes. Elle était en train d’invoquer.
« Bien joué Sheena » pensa-t-il.
Le mercenaire tendit son corps comme une flèche afin de gagner en vitesse. Quelques mètres au dessus d’elle il redéploya ses ailes de Mana. La prise au vent qu’elles offraient devrait pouvoir lui faire ralentir sa course…Les forces contraires s’exerçaient sur ses ailes avec une telle puissance de Kratos en eu le souffle coupé. C’était comme si on les lui arrachait sans anesthésie. Il se sentait complètement écartelé…Il fallait qu’il tienne bon. Il le fallait absolument… autrement tout ce qu’il avait entreprit, sa trahison, n’aurait servit à rien.
-Anna… donne moi la force…murmura-t-il comme une prière alors que des larmes de douleur venaient picoter ses yeux.
Les trois êtres de Mana dardaient leurs yeux inquiets sur lui et redoublaient eux aussi d’effort pour enrayer la chute de Sheena. Allait-il réussir à s’arrêter à temps ou allait-il les percuter?
Dans un ultime effort Kratos maintint ses ailes ouvertes et sentit qu’il ralentissait. Tendant les bras, il parvint à attraper le poignet de Sheena dont l’altitude était maintenue uniquement grâce à l’action des serviteurs du vent. L’attirant à lui, il la serra avec force dans ses bras. Un immense soulagement se peint alors sur son visage. Il avait réussi ! La déesse Martel soit louée, il avait réussi !
-Merci, fit-il en s’adressant à Sylphe avec ses trois paires d’ailes, Feairie et Yutis et leurs ailes de papillon.
-Nous n’avons fait que notre devoir, lui répondirent ensemble les trois esprits originels. Nous n’avons fait qu’obéir aux ordres du maître invocateur. Mais elle a épuisé la totalité de son Mana, source de vie et de magie, pour faire appel à nous. Plus une seule goutte ne parcourt son corps. Faites attention.
Et elles disparurent dans un souffle de vent.
Kratos pencha sa tête vers celle de Sheena et fronça les sourcils à la vue de la pâleur de son visage et de ses lèvres bleutées. Ses tremblements étaient de plus en plus importants. Elle haletait de plus belle. Les esprits avaient raison, le Mana ne circulait plus en elle. En voulant se sauver, elle avait accéléré sa mort…étrange paradoxe…Personne ne survivait bien longtemps à une absence de Mana dans son corps.
Malgré l’atroce douleur dans son dos, il accéléra son vol en direction de l’Abbaye du Sud Est, sans faire d’avantage attention à la blessure de son épaule qui lui faisait perdre beaucoup de sang. Il n’avait pas fait tout ça pour rien… !
*****
En quittant Kratos et Sheena, Zélos s’était senti rongé par l’inquiétude mais maintenant que les murs de la cité de Meltokio étaient loin, il avait retrouvé son ton badin habituel et regrettait de ne pas être parti avec la partie féminine de la famille de l’aubergiste, plutôt qu’avec le mari et son petit garçon. Chemin faisant en direction du point de rendez-vous, il avait bien essayé de détendre l’atmosphère plutôt pesante avec des vannes de son cru, mais n’avait réussi qu’à arracher un faible sourire compatissant à l’homme. Ce qui avait fini par vexer Zélos, qui boudait à présent.
Lorsque, après de longues heures de marche, le petit groupe arriva en vue des pierres noires de l’Abbaye du Sud Est, Zélos releva la tête avec un air maussade. C’était entre ces murs que vivait Sélès, sa demi-sœur du coté de son père.
Sélès…
//Après la mort de sa mère, une dizaine d’année auparavant, son père, un riche aristocrate de Meltokio, s’était remarié avec une femme issue de la petite bourgeoisie. De leur union était née Sélès, un an plus tard. Le bébé avait très vite été l’objet de toutes les attentions et les cajoleries, et Zélos, fils de la première femme, avait complètement été exclu de ce bonheur. « L’Elu du Mana» devait avoir d’autres préoccupations que l’amour et la reconnaissance familiale lui répétait-on sans cesse, il n’avait pas le temps pour de telle futilité puisque de lui, dépendrait la survie de tout un peuple.
Le jeune Zélos avait donc passé son adolescence loin de sa famille, entouré de vieux professeurs de l’académie de Syback qui lui répétaient de garder son sérieux, que son comportement n’était pas digne d’un Elu et qu’il fallait qu’il grandisse un peu. Ne pouvait-il pas faire honneur à la famille Wilder ? Son père serait très déçu si il constatait le peu de sérieux avec lequel son fils étudiait. La petite Sélès se montrait beaucoup plus docile et plus douée que lui.
Au début, il les avait écouté et s’était lancé corps et âme dans ses études. Il voulait tellement gagner l’estime de son père et que celui-ci le regarde à nouveau. Lors de ses rares visites à Syback, Mr Wilder interrogeait longuement son fils sur ce qu’il avait appris et déclarait ensuite d’un ton dur que cela n’était pas suffisant et que Sélès était beaucoup en avance pour son âge. Et Zélos ravalait ses larmes de déception une fois encore. Que fallait-il donc qu’il fasse pour que son père soit fier de lui ? Pas une seule fois depuis le fameux jour où sa mère avait trouvé la mort, il n’avait posé les yeux sur lui. Pas une seule. Etait-ce donc sa faute ? Etait-ce cela que son père voulait lui faire comprendre ? Il avait fini par développer une rancune tenace envers son père et sa petite demi-sœur si aimée de tous et si parfaite.
Et puis l’adolescence était venue avec ses premiers émois, et le jeune Elu découvrit bien vite qu’il ne laissait pas indifférentes ses petites camarades de classe. Il était si facile de les manipuler en leur promettant la lune et en les embobinant, avec de belles paroles qu’il ne pensait pas. Voilà que son statut d’Elu pourrait enfin lui servir à quelque chose... autant en profiter. Les filles ne pouvaient rien lui refuser et étaient prêtes à tout pour un peu d’attention de sa part.
Cela avait commencé par des menus services qu’elles lui rendait pour lui être agréable, sans qu’il demande quoique se soit. Profitant de leur dévouement, il commença à leur demander de faire ses corvées à sa place, puis ses devoirs et enfin de passer les examens à sa place, présentant toujours la chose comme si il leur demandait là une immense faveur. Même les professeurs du sexe féminin tombaient sous le charme de cet adolescent au sourire ravageur qui semblait d’avantage doué pour séduire les filles que pour apprendre les mathématiques. La seule autre matière dans laquelle il excellait, outre le combat, était l’astronomie. Ce qui n’avait pas été sans étonner ses professeurs, jusqu’à ce qu’ils se rendent compte que ce n’était que pour parfaire sa technique de drague (ce Zélos, j’vous jure -_-‘). « Les filles sont tellement sensibles à la beauté des étoiles » l’avaient-ils entendu se vanter auprès des autres garçons.
Le jeune Elu n’avait pas autant de succès avec eux qu’avec les filles. Beaucoup le considérait comme un beau parleur bourré de fric un peu efféminé, et aucun n’appréciaient les faveurs dont il était le bénéficiaire. Très vite, ils avaient pourtant appris que se frotter à lui n’était pas la meilleure idée qu’ils aient eue… En escrimeur hors paire, Zélos avait tôt fait de faire mordre la poussière à ceux qui le provoquaient en duel. Ceci lui avait fallu d’interminables séjours dans le bureau du Doyen, à subir des sermons qu’il ne prenait même pas la peine d’écouter :
-Votre conduite est inadmissible ! J’ai fermé les yeux la dernière fois mais cette fois ci c’est trop ! Il est encore à l’infirmerie et les médecins ne savent pas si il pourra se servir de son œil à nouveau !
-…
-Ses parents sont dans l’antichambre et vont porter plainte au Roi ! Sachez qu’ils font beaucoup de dons à cette université et…
-Et alors ? demanda le jeune Elu en dissimulant à peine son bâillement de lassitude. Qu’est ce que ça peut me faire ?
-Comment ça, qu’est ce que ça peut vous faire ??? explosa le vieil érudit. Vous rendez vous compte de ce que vous avez fait ??? C’est très grave !
-Mmmh…Je n’ai fait qu’accepter sa provocation en duel, je ne l’ai pas forcé, répondit Zélos d’une voix égale. Il aurait dû savoir à qui il avait à faire avant de vouloir se venger à propos de sa petite amie… comment s’appelait-elle déjà ?...Ah oui, Suzie !… quelle stupidité, ajouta-t-il en soupirant et en croisant les jambes, assis dans l’épais fauteuil en cuir faisant face au bureau du Doyen.
Le vieil homme le fixa avec attention, se retenant d’asséner une bonne gifle à cet arrogant élève. Son prédécesseur avait fait preuve de beaucoup trop de laxisme à son égard semblerait-il. Cet enfant était tout bonnement insupportable !
-En ce qui concerne l’argent versé à votre établissement, ne vous en faites pas. Mon père se fera un plaisir de vous dédommager de vos pertes. Il ferait n’importe quoi pour ne plus avoir à entendre parler de mes frasques. Pour ma part…Non laissez, ce n’est pas important, ajouta-t-il avant de prendre congé dans un sourire froid.
-Restez assis !!! Je n’en ai pas fini avec vous « Elu » !!! Votre sœur, elle !… cria le Doyen.
-Demi sœur…
-Je vous demande pardon ?
-Sélès est ma demi sœur. Dans nos veines, ce n’est pas le même sang qui coule…C’est elle qui aurait du naître avec ce foutu cristal dans sa main [2], pas moi… dit-il dans un murmure.
-…
-Restons en là voulez vous ? J’ai à faire. Bonne journée Monsieur, fit Zélos d’un air faussement enjoué.
L’adolescent se leva sans plus attendre et sortit du bureau. Presque aussitôt, une myriade de jeunes filles de tous âges se précipitèrent vers lui afin de s’enquérir de la raison de cette convocation chez le « vieux » et de la nature de l’éventuelle sanction.
-Ne vous en faites pas les filles, ça c’est très bien passé, l’entendit dire le Doyen. Votre serviteur s’en sort toujours. Allez venez mes chéries, allons ailleurs que je puisse contempler au mieux votre beauté. Cela illuminera le reste de ma journée.
Les petits cris des filles retentirent dans le couloir.
Le Doyen se cala dans les renflements en cuir de son fauteuil. L’Elu était un enfant à surveiller de prés. Il n’avait pas chercher à dissimuler l’amertume que lui inspirait son rang et ne semblait ressentir aucun regrets, aucune culpabilité envers ses actes. Quel jeune garçon froid, bien trop à son goût pour un jeune de son âge d’ailleurs. Avec le temps et la rancune grandissante, et entre de mauvaises mains, il pourrait devenir un homme dangereux et sans pitié. Le vieil Erudit se promit d’en toucher deux mots à son père lorsque celui-ci viendrait effectuer sa visite annuelle, lors de l’anniversaire de son fils.//
//Autre moment, autre lieu.
Pour la première fois depuis qu’il avait quitté la demeure familiale, Zélos allait rencontrer sa demi-sœur si détestée. C’était à l’occasion des fêtes de la nouvelle année. Son père, affaibli par une maladie qui touchait ses poumons, voulait sans doute se donner encore l’illusion d’une famille unie. C’était ce qu’en avait conclu Zélos en découvrant l’invitation.
Il avait songé tout d’abord à ne pas y aller, et puis il s’était dis que c’était exactement ce que voulait cet homme qui disait s’appeler son père. Il irait donc, uniquement pour voir l’aversion et le mépris qu’il lui inspirait se peindre sur le visage de son géniteur.
Lorsqu’il arriva devant la grille d’entrée, il poussa doucement les panneaux de métal froids. Lentement, il pénétra dans le jardin et suivit le chemin dallé qui menait à l’entrée de l’imposante demeure. La neige qui tombait encore sans bruit, crissait sous ses pas.
Levant la tête, il remarqua une petite fille qui l’observait à travers les carreaux d’une immense fenêtre. Pendant de longues minutes, ils restèrent ainsi à se fixer, à essayer de se reconnaître l’un en l’autre. Puis la fillette fut tirée vivement en arrière et disparut du champ de vision de Zélos. Seul l’épais rideau pourpre qui se balançait encore, attestait de la présence d’une personne quelques instants plus tôt.
Zélos sourit intérieurement. Evidemment, on avait dû lui raconter tout un tas d’histoires à son sujet, que c’était un égoïste, doublé d’un coureur de jupon et d’un incapable, qu’il ne fallait surtout pas essayer d’avoir des contacts avec lui autrement il allait vous pervertir. Ce n’était pas un bon élu. Il était inutile, ne servait à rien et n’aurait jamais dû venir au monde. Cela aurait dû être elle l’élue, pas lui…
Il soupira une fois encore et s’apprêta à soutenir le regard méprisant de son père. Son père qu’il avait tellement craint étant plus jeune et qui lui faisait tellement pitié aujourd’hui…
Il ouvrit à la volée les grands panneaux en bois cloutés et sculptés avec raffinement, sans prendre seulement la peine de frapper, ou encore d’attendre qu’un domestique vienne lui ouvrir.
-Salut la compagnie !!! s’exclama-t-il avec un sourire outrageux mais son regard était on ne peu plus glacial. Désolé pour le retard ! Je sais que vous vous languissiez de moi, mais j’ai été retardé par une urgence sur le chemin… Et oui, c’est ce qu’on pourrait appeler la rançon du succès ! Alala… Toutes ses jolies jeunes filles qui veulent accaparer un peu de mon temps… c’est dur. Mais on s’y fait vite. Tenez mon brave, ajouta-t-il en tendant son manteau au majordome.
Il s’avança ensuite vers une femme d’une trentaine d’années, guindée dans une robe sobre et sombre qui contrastait avec les habits richement décorés de l’Elu de la régénération.
-Ma chère belle-mère… Mes hommages, dit-il en lui baisant la main et en ignorant volontairement la fillette qui se trouvait à ses côtés. Quel temps épouvantable n’est-ce pas ? Père n’est pas avec vous ? C’est encore son angine de poitrine, je parie…
Lui prenant le bras, il l’entraîna dans son sillage, tout en continuant de parler avec animation et un enthousiasme exagéré. La pauvre femme n’arrivait pas à en placer une et paraissait d’ailleurs assez contrite. Le fils de son mari était décidemment bien trop exubérant.
Même à table, c’était Zélos qui s’était chargé de faire l’animation. On n’entendait que lui. Il s’efforçait par ce biais, de masquer le trouble que lui inspirait cette maison, ce foyer où il avait vécu heureux avec sa mère, et qui n’était plus le sien à présent. Il n’était plus qu’un étranger entre ses murs et cela faisait longtemps qu’il l’avait compris. Il feignait d’ignorer son père mais il était toujours, bien malgré lui, en quête d’une reconnaissance quelconque, même si cela lui était difficile à admettre. Au fond de lui, il attendait vainement que son père lui demande pardon. Mais ce pardon n’était jamais venu…
-Une nouvelle année commence mais tu reviens inlassablement à ton point de départ mon vieux Zélos, soupira-t-il alors que s’achevait cette soirée et qu’il se retrouvait dans le jardin enneigé, bien emmitouflé dans son manteau de fourrure. Cette fois encore, tu as été incapable de t’expliquer avec lui…pfffffff…bah, il me reste l’an prochain pour le faire. Eh ! Qu’est ce que tu veux toi ?
Il posa ses yeux sur Sélès, qui s’était éclipsée à la fin du repas. Il ne lui avait pas adressé la parole de la soirée, pas accordé un seul regard. Il s’était montré froid et distant au possible vis à vis d’elle et pourtant elle était là, dans la froideur de cette soirée d’hiver, avec sa jolie robe de velours bleu, à le fixer de ses grands yeux tristes.
-Qu’est ce que tu me veux ? répéta Zélos avec une pointe d’impatience dans la voix.
La fillette ne lui répondit rien mais continuait de le fixer avec des yeux implorants.
Elle voulait comprendre.
On lui avait toujours décrit l’Elu de façon très laide et elle voulait se faire sa propre opinion. Tout ce qu’elle avait vu ce soir, c’était un enfant enfermé dans une grande solitude, tout comme elle. Un enfant qui ne cherchait que l’amour et la reconnaissance de ses parents [3].
Il était son frère après tout. Son grand frère. Rien que ce mot lui donnait des frissons d’excitation. Elle n’était pas seule, elle avait un frère. Bien sûr elle adorait sa mère, mais ça n’était vraiment pas la même chose.
Zélos et Sélès se fixaient en silence, se fouillant mutuellement du regard. Combien de temps restèrent-ils ainsi dans la froideur de l’hiver ? Un instant ? Une éternité ?...Qui sait…
Sélès ouvrit la bouche mais un domestique l’interpella et arriva en courant vers elle. Zélos le regarda venir vers eux en pestant contre toute cette neige qui rendait l’allée glissante, puis il regarda Sélès qui avait baissé les yeux, gênée.
-Le message est passé petite sœur, lui dit-il avec un doux sourire. Tiens. Si tu attrapes une pneumonie ça va encore être de ma faute.
Il se pencha vers elle, défie l’écharpe autour de son cou et l’enroula autour du cou de la fillette. Se relevant, il lui ébouriffa les cheveux d’un geste tendre et franchit les grilles sans se retourner.
-Allons Mademoiselle, venez, il faut rentrer ou vous allez attraper mal, dit une voix dans son dos.
Sélès sursauta. Elle se retourna et elle vit le domestique qui lui faisait signe de rentrer avec impatience, visiblement pas très content d’avoir eu à lui courir après sous toute cette neige. L’enfant se retourna vers la grille d’entrée mais l’Elu avait déjà disparu de son champ de vision. Elle soupira et suivit le valet en silence, l’écharpe épaisse et douce serrée contre son cœur…//
… Pour quoi avait-il fallu que ces murs de pierre, lui rappellent ces passages de son enfance ? Il pensait pourtant les avoir bien enfouis dans sa mémoire…Bah ! A quoi bon se lamenter ? il n’aurait qu’à faire comme d’habitude, refouler ses sentiments protecteurs qu’un frère peut avoir pour sa sœur et se montrer aussi égoïste qu’à l’accoutumée. Cela ne lui avait jamais poser de problèmes jusqu’à maintenant alors autant continuer.
L’Elu de Tésséha’lla se composa un visage pour la circonstance et franchit avec détermination le portail entouré de hauts murs qui annonçait le début du domaine de l’abbaye.
[1] Normalement la phrase est bien plus longue, mais elle est en anglais dans le jeu et j’avoue que je ne réussi jamais à la déchiffrer comme il faut et jusqu’au bout^^
[2]Les Elus du Mana naissent en tenant dans leur main un cristal du Cruxis. Celui-ci est ensuite déposé dans un temple de l’Eglise de Martel jusqu’à ce que l’heure de la régénération sonne et que l’Elu se présente pour entre la prophétie. Dans le jeu c’est ce que dit Colette à Génis et Lloyd avant de se rendre au temple d’Isélia, et le cristal du Cruxis de Zélos est en fait gardé par sa sœur Sélès.
[3] Précoce pour son âge la petite hein ?^^
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Souvenirs, souvenirs
Zélos: Oh…hihihi… trop forte celle là… et celle là ? mmh pas mal non plus…
Sheena : Qu’est ce que tu fais Zélos ?
Z : Je regarde des vieilles photos. Regarde ! Tu trouves pas que j’étais à croquer ?
S(jette un coup d’œil) : Mmh… mouais, si tu le dis.
Z : Atta, jette un œil sur celle ci. Aaah la belle époque… j’avais déjà beaucoup de classe et toutes les filles étaient folles de moi.
S : Ca c’est bien un truc que je ne comprendrais jamais.
Z : Tu es jalouse Shee ?
S : Hein ???!! Quoi ???!! Mais pas du tout mon cher !
Z (chantonnant): Sheena est JA-LOUSE.
Génis : Salut vous deux ! Vous faites quoi ?
Z(mets la main devant la bouche de S) : Je montrais à Sheena des preuves de mon maintien naturel de roi^^
G(feuillette l’album pendant que S essaye de frapper Z) : mouais…mouais…Ah ! Mais c’est que c’est très intéressant ça ! Arrêtes toi deux secondes Sheena et viens voir ça ! Ca vaut le détour !
S arrête de poursuivre l’Elu et va voir G.
G (brandit triomphalement une photo) : La première cuite de ce cher Z !!! Dis moi, Z, tu nous avais caché que tu avais des sous-vêtements si mignons !!! Niark Niark Niark ! Avec des petits nounours en plus^^
Z (gêné) : C’était même pas les miens… et d’abord rendez moi ça vous deux !!!
Et Z partit à la poursuite de S et G mort de rire, tenant toujours la photo compromettante, à travers toute la maison.
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