L’homme se tournait et se retournait dans son lit, visiblement plongé dans un sommeil agité. Les émotions se succédaient sur son visage aux yeux clos : tantôt un sourire béat, puis une moue agacée, ou encore un froncement de sourcil interrogateur. Il prononçait même quelques mots sans queue ni tête, à peine marmonnés qui, rassemblés, auraient pu donner quelque chose ressemblant à :

- L’est…Katia…Rôôôô !…pas possible…c’est…’rrête…

Dans un gloussement, il se retourna brusquement vers la droite, sa main renversant par la même un gobelet en étain qui était posé sur la petite table voisine. Ne se réveillant pas pour si peu, il reprit sa position initiale et repartit bécoter la dénommée « Katia ». De toute façon, le rangement et le ménage ne semblaient pas être la préoccupation principale du capitaine. De nombreux objets tapissaient le sol, formant un ensemble hétéroclite allant d’une unique botte usée à de multiples cadavres de bouteilles de rhum, en passant par une longue vue brisée en deux morceaux et divers papiers froissés. Les cousins de ces derniers servaient d’ailleurs de nappe à la table massive trônant au milieu de la cabine. Ou cet homme aimait le papier ou il en faisait commerce. Au milieu de cet amas de feuilles se dressait un chandelier dont la bougie s’était éteinte depuis longtemps déjà, un vieux tricorne racorni et un compas qui indiquait un Nord curieux…à moins que ce ne fusse pas le Nord. Mis à part la table, on trouvait pour mobilier dans cette cabine, quelques chaises, de nombreux coffres et, bien évidemment, le lit, dont les draps affichaient une propreté douteuse. Nous passerons volontairement sur la quantité phénoménale de poussière recouvrant joyeusement cet ensemble.
La porte s’ouvrit tout doucement, laissant apparaître une face barbue et avinée. La dite figure fut rapidement suivie du reste du corps et l’homme, puisque c’en était un, referma la porte tout aussi doucement qu’il l’avait ouverte. Il balaya du regard l’intégralité de la pièce et poussa un soupir résigné. Il se dirigea ensuite vers le lit et baissa les yeux vers le capitaine. Après l’avoir observé quelques secondes, non sans s’amuser des mimiques de l’endormi, le barbu prit une grande inspiration et…

- DEBOOUT JACK !!
- …

Aucune réaction, si ce n’est un léger grognement. Aucunement satisfait par cette réponse laconique, le deuxième homme secoua légèrement l’épaule du dénommé Jack. Cette fois, la réponse fut construite et intelligible mais plutôt incongrue.

- Nan mamaan ! Katia voulait me montrer un truc…

L’éveilleur dût prendre sur lui pour ne pas exploser de rire, ce qu’il savait faire à la perfection, côtoyant le capitaine depuis plusieurs années déjà.

- Cap’taine Sparrow, je suis pas votre mère, c’est moi, Gibbs.

Ayant dû faire le rapprochement entre le nom Gibbs et celui de son second, Jack Sparrow ouvrit timidement un œil (NdA : Quoi ? Timide et Jack Sparrow dans la même phrase ?! xD), puis l’autre, et adressa un sourire nerveux à son interlocuteur.

- Oui, bien sûr que je sais qui vous êtes.

Gibbs se passa de commentaire et attendit que son capitaine soit en état de l’écouter pour poursuivre.

- On a besoin de vous là-haut. Un rafiot qui nous suit depuis maint’nant deux heures.
- A cette heure-ci ? s’étonna Jack d’une voix ensommeillée.
- Euh…Il est déjà plus de midi.

Semblant soudain émerger, il se leva d’un seul coup et se mit à la recherche de ses bottes, parcourant la cabine de long en large, à quatre pattes et poussant des jurons tous plus énormes les uns que les autres.

- Pourquoi vous ne m’avez pas réveillé plus tôt ??
- Et bien on ne voulait pas perturber votre sommeil…Vous dormez déjà si peu.

Le pirate se redressa, une botte dans une main et une ceinture dans l’autre.

- Ne vous inquiétez pas pour moi. Maintenant retournez au boulot !

Le second s’apprêtait à s’exécuter quand le capitaine l’interpella derrière son dos.

- Hé Gibbs !
- Oui ?
- Merci.

L’interpellé eut un sourire et sortit de la pièce. Jack se remit en chasse et finit par dénicher la deuxième botte sous son lit. Se jurant qu’il rangerait sa cabine une fois cette affaire tirée au clair, il prit la suite de Gibbs et débarqua sur le pont de son habituelle démarche chaloupée.

- Alors les gars, quoi de neuf ?
Une femme à la peau noire portant un bandana rouge en guise de couvre-chef s’avança vers le capitaine et lui exposa la situation.

- Le bâtiment est à moins d’un mille, sa position est légèrement décalée à tribord par rapport à la nôtre. Pas plus de dix degrés d’après Gibbs. Leur vent arrière est légèrement meilleur et le bâtiment est visiblement plus rapide que le nôtre, dans une heure ils seront à notre hauteur.

Jack prit un air exagérément outré et s’écria.

- Comment ça « plus rapide » ??
- Plus léger. Moins gros.
- Merci je m’en doutais.
- Alors pourquoi tu poses la question ?

Le pirate lança un regard noir à l’intention d’Ana Maria et attrapa la longue vue qu’elle tenait dans sa main. Il la dirigea vers l’horizon, y colla son œil et chercha le navire. Quand il l’eut dans sa ligne de mire, il put effectivement remarquer que le bâtiment gagnait du terrain sur eux. Il chercha ensuite le pavillon et afficha un sourire radieux quand il le vit. Il rendit ensuite la longue vue à la jeune femme et prit la direction du gaillard d’arrière afin de se poster à la barre.

- Réduisez la voilure !

L’ensemble de l’équipage se tourna vers le capitaine en le regardant comme s’il sortait de l’asile. Ce qui s’avérait tout à fait possible quand on connaissait un peu le personnage. Ana Maria ne semblait pas décidée à suivre les ordres.

- Quoi ?!
- Faites c’que j’vous dis tas de chien galleux ! Qui êtes-vous pour discuter les ordres du capitaine ?!
- Mais ils vont nous rattraper !
- C’est le but, très chère.

Elle le regarda encore quelques secondes, puis renonça à essayer de comprendre et alla assurer son rôle de Stentor suppléant en rugissant des ordres sur le pauvre équipage sans-défense. Jack Sparrow, quant à lui, jubilait intérieurement, triturant machinalement une des breloques ornant ses dreadlocks. Alors elle voulait remettre ça ? Qu’à cela ne tienne, il allait lui faire passer l’envie de le réveiller au beau milieu d’un rêve aussi…sympathique. Le capitaine eut un sourire béat en y repensant et posa les mains sur la barre de sa chère Perle.
Il avait beau prétendre le contraire, il était reconnaissant à Gibbs de l’avoir laissé rattraper son sommeil en retard. Le capitaine Sparrow dormait peu depuis quelques temps. Il était torturé par le vide qu’il ressentait alors qu’il semblait errer par les mers des Caraïbes sans but. Depuis qu’il avait vaincu le Kraken et Davy Jones, sa vie était devenue plus calme. Trop calme. Will et Elizabeth s’étaient exilés sur Dieu-sait-quelle île perdue pour échapper à Beckett, refusant catégoriquement de rester en mer alors qu’ils allaient se marier. Et la Royal Navy semblait se désintéresser totalement de son sort. Après un soupir las, il pensa néanmoins qu’avec ce retour impromptu il était bien parti pour s’embarquer dans quelque chose d’intéressant…
Perdant de l’allure, ils ne tardèrent pas à se retrouver face à un bateau d’une taille relativement petite, dont le pavillon affichait un trèfle et un sabre. L’embarcation se stoppa à leur niveau et ses occupants accoudés au bastingage observèrent d’un œil curieux l’équipage du Black Pearl. Il y eut un instant de silence avant que Jack ne se décide à le briser.

- Ho ! Si tu m’as suivi, c’était pas par désir d’admirer mes beaux yeux! Je me trompe ?
- Non, tu as parfaitement raison.

La voix était plutôt aiguë, de toute évidence féminine. Une silhouette jusqu’à présent dans l’ombre s’avança à la lumière du soleil. Tout le monde put ainsi voir…une jeune fille. Elle devait avoir vingt-cinq ans tout au plus, mais elle toisait le capitaine du Pearl comme si elle portait le savoir universel dans sa juvénile petite tête. Observant le Sparrow de capitaine avec une lueur de haine pure dans ses yeux bleus, elle rejeta sa blonde chevelure coiffée d’un tricorne derrière ses épaules frêles et le pointa du doigt.

- Je suis là pour te tuer, une bonne fois pour toutes !

Une vague rumeur semée de ricanements parcourut l’équipage du Pearl. Le capitaine lui-même dut réfréner l‘éclat de rire qui menaçait de lui échapper avant de répondre avec un sourire plus que narquois.

- Tu m’en vois ravi ! Mais je manque à la plus élémentaire des politesses : bien le bonjour l’amie ! Je suis enchanté de te revoir en si bonne forme !

La fille lui répondit par un grognement agacé et reprit presque en hurlant.

- Ce n’est pas mon cas ! Quand j’en aurais fini avec toi tu n’auras même plus la possibilité de rire !
- Du calme Trésor. T’excite pas.
- JE T’INTERDIS DE M’APPELER COMME CA !! JE VAIS COULER TA COQUE DE NOIX ET EGORGER TA BANDE DE PORC JUSQU’AU DERNIER !!!

La jeune femme avait hurlé comme une hystérique et était encore rouge de rage. Elle frappait le bois du bastingage comme une sourde ce qui lui donnait un air plus que pitoyable. Se ressaisissant peu à peu, elle interpella d’une voix sèche une fille qui semblait être son second et lui ordonna :

- Leïla ! Vas en cale avec les autres et chargez les canons.
- Hé ! T’es pas un peu malade ? C’est Jack Sparrow enfin !
- Et alors ?
- Alors je sais pas pour toi mais j’avais pas prévu de mourir aujourd’hui moi !
- J’en ai rien à foutre de ton avis ! Fais ce que j’te dis !!

Comme la dénommée Leïla ne semblait pas décidée à bouger, un pirate borgne s’avança et intervint, visiblement gêné :

- Capitaine, je crois qu’elle a pas tort…On est pas prêt à défier le Black Pearl.
- Je l’ai déjà fait et regarde moi : je me porte très bien, répliqua la fille.

Une voix parvint de derrière les rangs et rétorqua assez fort pour être entendue de tous.

- C’est pas vraiment une référence !

Le capitaine sembla exploser et vociféra en direction de la voix.

- TA GUEULE PIRCE ! ON T’AS RIEN DEMANDE RENDORS TOI !!

Tandis que le débat battait son plein sur le bâtiment d’en face, les occupants du Pearl se demandaient s’ils devaient rire où se sentir vexés d’être ainsi oubliés au profit de désaccords internes. Le capitaine Sparrow, que la situation n’étonnait pas outre-mesure, étouffa un bâillement. Ana Maria jugea opportun d’acquérir la réponse à la question qui lui trottait dans la tête.

- Euh…Jack, c’est qui cette fille ?

L’interpellé se tourna vivement vers la jeune femme et s’écria avec emphase :

- Comment ? Tu n’as pas reconnu le Capitaine Emily Johnson ?
- QUOI ? Qu’est-ce que cette greluche fout ici ?!

Un compas parti de Dieu-sait-où atterrit avec force sur le crâne de la jeune pirate.

- La greluche t’emmerde !!

Le capitaine Johnson se tenait penchée par-dessus le bastingage, si bien qu’elle serait tombée à l’eau si ses « subalternes » ne l’avaient pas retenue in extremis. Loin de se laisser démonter par l’épidémie de fou rire saisissant les rangs adverses, elle se dressa avec toute la dignité dont elle était capable après avoir failli finir en hachis pour requin, et lança d’un ton impérieux à l’intention de son équipage :

- Fini les gamineries ! A l’abordage !

Elle resta ainsi quelques instants, le doigt pointé vers le ciel, sans qu’aucune réaction ne se produise. Trouvant que l’effet se faisait attendre, elle finit par se retourner vers son équipage qui ne semblait pas avoir pris l’ordre pour lui.

- J’ai dit « A l’abordage » !!
- Beeeennn…

Furieuse, Emily marmonna un « Ok, j’ai compris » et se dirigea vers le mât, qu’elle escalada lestement. Elle attrapa ensuite un bout [NdA : une corde…terme nautique^^] qui traînait par là et une clameur affolée parcourut son équipage. Jack afficha un air vaguement inquiet alors qu’à ses côtés, Pintel et Ragetti se disputaient allégrement, l’un affirmant que la petite n’allait jamais sauter tandis que l’autre assurait qu’elle s’écraserait comme une bouse sur le pont. Loin de se préoccuper de ce qui se passait en bas, Emily prit une grande inspiration et, tout en se maudissant pour sa témérité, sauta. Elle se réceptionna en une roulade et parut bien se remettre…jusqu’au moment où elle essaya d’avancer et qu’elle s’étala de tout son long après avoir titubé sur plusieurs mètres. Gros silence. Gloussements. Ricanements. Explosion. Fou rire. Sous une pluie de quolibet, le capitaine Johnson se remit sur pied et avança d’un pas décidé vers le capitaine du Pearl. Elle dégaina ensuite son épée et lui pointa sous la gorge, si rapidement qu’il n’eut pas le temps de réagir. Tandis que son équipage commençait à s’inquiéter, le concerné adopta une de ses fameuses mimiques et s’enquit :

- Comment tu fais ça ?
- Mmmh…Je crois que je bénéficie de l’effet de surprise.
- En tous cas j’adore ta robe. Mais es-tu certaine que c’est très approprié en de telles circonstances ?
- Bah moi j’aime bien…

La jeune femme portait une robe de soie bleue richement ornée, raccourcie au-dessus des cuisses et négligemment passée sur un pantalon dépareillé et une paire de bottes poussiéreuses. Les manches étaient, elles aussi, largement esquintées et la taille sertie d’une large ceinture de cuir, servant à retenir l’épée qui menaçait à présent la vie du capitaine Sparrow.

- Par contre pour ce qui est de l’hygiène corporelle …Ca s’est détérioré depuis la dernière fois.
Emily leva les yeux au ciel et répondit d’une voix où pointait l’agacement à chaque mot.
- Et tu oses me dire ça, toi ? Au cas où tu ne serais pas au courant, il n’y a pas de salle d’eau à bord d’un bateau.

En effet, la peau pâle de la femme montrait des traces de crasse et ses cheveux, bien que d’une blondeur lunaire, étaient passablement emmêlés. Ses mains fines étaient calleuses et de nombreuses écorchures parcouraient ses bras. En outre, une curieuse cicatrice légèrement suintante, semblant former un « P », marquait son avant-bras. Emily intercepta le regard de Jack sur cette marque et la cacha aussitôt de sa manche.

- Je ne savais pas que tu avais eu des problèmes avec la Compagnie des Indes…
- …Il y a encore beaucoup de choses que tu ne sais pas sur moi.
L’équipage du Pearl et du Rose-Mary, le bateau du capitaine Johnson, assistait à cet échange sans mot dire. La plupart des Pearliens s’étaient même assis pour mieux suivre la conversation.

- Honnêtement, je ne t’aurais jamais cru capable de leur échapper.
- Je suis une fille étonnante, assura-t-elle avec un sourire suffisant. Mais je dois admettre que les pauvres bougres m’ont déçue. Il m’a été étonnamment facile de m’enfuir. J’espère qu’ils auront retenu la leçon et qu’ils ne sous-estimeront plus les « p’tites filles » !

La blonde éclata de rire tandis que Jack la regardait d’un air condescendant, comme si elle eut été atteinte d’une maladie psychologique incurable. Baissant ensuite les yeux vers le sabre de son adversaire, il prit un drôle d’air et leva deux index éloquents sous le nez d’Emily.

- Juste…Tu devrais me laisser attraper mon arme. Tu n’aimerais pas me tuer alors que je suis sans défense ?

La jeune femme observa d’un air dégoûté les doigts de son interlocuteur et les chassa de son champ de vision de sa main libre, comme on chasserait un insecte gênant.

-Hors de question : je te tiens, je te garde !
-Tu es consciente que mon équipage te massacrera avant que tu n’aies le temps de dire « rhum » ?
-Rien à foutre. Te tuer est mon unique but dans la vie, y survivre ne rimerait à rien.

Jack sentit sa gorge se serrer. Il ne pensait pas son adversaire si déterminée à lui faire passer l’arme à gauche. Mais sa dignité de mâle dominant revint au galop et il se ressaisit bien vite, offrant son plus beau sourire idiot à la jeune femme. Se faire tuer par une gamine sur son propre navire n’était pas digne du capitaine Jack Sparrow.

-Voyons voyons, ne sois pas si catégorique ! Tu es encore jeune, tu as bien mieux à faire que de t’intéresser à un vieux loup de mer comme moi !
-Tu as détruit ma vie, asséna-t-elle, détachant chaque mot. Il me paraît normal de te rendre la monnaie !

-C’était il y a longtemps…, minauda le capitaine.

Prise d’un accès de fureur soudain, Emily rapprocha la lame du cou de l’autre d’un coup sec. Une goutte de sang coula le long de ce cou pour venir se perdre quelque part dans la chemise de Jack.

-Moi je n’ai pas oublié.

Ce simple murmure contenait plus de menaces que bien des cris de rage. Au moment où le capitaine Sparrow pensait que sa fin arrivait, aussi absurde que le reste de sa vie, par la main de cette fille et devant tout son équipage (Mille pétards quelle fin atroce ! Quelle image les gens garderaient-ils de lui après ça ?), une brillante idée lui vint…

-Soit, puisqu’il doit en être ainsi, vas-y, tue-moi.

Il ouvrit ensuite les bras en croix et ferma les yeux, adoptant ainsi la posture la plus dramatique qu’il avait en stock. Cette réaction en surprit plus d’un et même le capitaine Johnson resta bouche bée. Voyant que Sparrow ne cillait pas, elle se décida à exprimer son incompréhension :

-Quoi ?!
-Vas-y je te dis, c’est amplement mérité !

Le visage de la pauvre fille passa par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel avant d’opter pour un rouge soutenu, à la limite du cramoisi.

-Tu n’as pas le droit !
-Mais si, puisque je te le dit.
-T’as pas le droit de me faire ça !

Du côté des occupants du Rose-Mary, l’incompréhension atteignait son paroxysme. En effet, plus rien ne leur indiquait que la santé mentale de leur capitaine était récupérable. D’abord elle voulait tuer Sparrow et quand il le lui proposait aimablement, elle piquait une crise d’hystérie sans nom. Un jeune homme à la peau hâlée s’approcha discrètement de Leïla le second et lui souffla :

-Tu comprends ce qui arrive au capitaine, toi ?
-J’ai bien peur que oui, confirma-t-elle avant de soupirer bruyamment.

Quant au Pearliens, eux, ils ne cherchaient même plus à comprendre. Il faut dire qu’avec le capitaine Sparrow, ils allaient finir par être habitués. Vous vous demandez sûrement pourquoi ils n’intervenaient nullement dans le règlement de compte qui se déroulait sous leurs yeux ? Et bien en vérité Pintel se serait bien servi de son mousquet mais le capitaine ne cessait de faire des signes dans le dos de sa rivale pour que son équipage le laisse se débrouiller seul. Ce qui, au fond, ne les dérangeait pas plus que ça. Un peu de spectacle de temps en temps, c’est toujours bon à prendre.
Pour en revenir à nos deux protagonistes, Jack, vaguement effrayé, regardait Emily sauter sur place en braillant comme une perdue.

-SUPPLIE-MOI ! DEFEND-TOI ! JE T’INTERDIS DE TE LAISSER MOURIR !
-Mais tout à l’heure tu m’as interdit de prendre mon ar…
-Tais-toi ! J’ai pas fait tout ce chemin pour te retrouver et te tuer facilement !!
-D’accord, ne t’énerve pas comme ça…Tu vois je prends mon épée…
-Ouais c’est ça ! Prends ton épée que j’te mette la dérouillée de ta vie !

Le combat fut de courte durée et s’acheva sur une Johnson les quatre fers en l’air et un Sparrow victorieux.

-Tu disais ? s’enquit Jack, ouvertement moqueur [NdA : Ya de quoi après tout le sketch qu’elle lui a fait xD]. Il n’y a pas eu comme un retournement de situation par hasard ?

La lame sous la gorge, Emily ne put que serrer les dents. Oh comme elle le détestait en cet instant ! Elle le détestait même tout le temps mais encore plus intensément à ce moment précis. Mais elle accepterait sa défaite dignement, comme le grand capitaine qu’elle était. Elle put voir son équipage observer la scène, horrifié, et Leïla essayer d’enjamber le bastingage avant d’être retenue par les autres. Ensuite, elle ferma les yeux. Le métal froid sur sa gorge lui procurait une sensation plus que désagréable et elle frissonnait. Mais, d’un seul coup, cette sensation prit fin. « Je suis déjà morte ? » pensa-t-elle. Elle ouvrit un œil et put constater que le capitaine Sparrow brillait par son absence. Elle scruta les alentours quelques secondes et le vit revenir auprès de son équipage.

-Hé ! Qu’est-ce que tu fabriques !
-Tu vois, je m’apprête à repartir. D’ailleurs tu ferais bien de faire de même si tu ne veux pas passer par dessus bord.

Offusquée, elle sauta sur ses pieds et se dirigea vers l’homme.

-Tu peux pas faire ça !
-Quoi ENCORE ?
-Me pousser à bout, me vaincre et ensuite partir !
-Je ne vois pas pourquoi je me gênerais.
-Tu dois finir ce que tu as commencé !
-Tu devrais t’estimer heureuse.
-Je ne veux PAS de ta pitié !!
-Honnêtement, je me fiche de ce que tu veux ! Je ne m’abaisserai pas à tuer une femme, folle qui-plus-est !
-Mais…Mais !

Si chacun sait que Jack Sparrow ne tient jamais ses promesses, il est de notoriété publique qu’il fait des exceptions quand ça l’arrange. C’est ainsi qu’Emily Johnson fut coupée dans ses protestations par Pintel et Ragetti l’attrapant par les épaules et les jambes. A peine s’était-elle débattue qu’elle avait déjà effectué un plongeon forcé suivi d’un atterrissage dans l’eau glacée.

-Bon retour chez toi ! Que ce jour reste dans ta mémoire comme celui où tu t'es faite détruire par le Capitaine Jack Sparrow pour la soixante-deuxième fois et des poussières !

Et c'est ainsi que le légendaire Black Pearl disparut à l'horizon au milieu des rires de ses occupants, laissant le Capitaine Johnson anéantie par un double choc (l'un thermique, l'autre moral). Une fois remontée à bord du Rose-Mary, elle se dirigea d'un pas décidée vers la barre si bien que Leïla dut courir pour la rattraper.

-Ca va aller ?
-J'vois pas comment ça pourrait aller plus mal. Donc on va dire que oui.

De la part d'Emily quand elle venait d'essuyer une défaite, c'était une réponse satisfaisante. Toute réponse convenait à l'équipage tant qu'elle ne contenait pas les mots "revanche" et "Jack Sparrow".

-On a un cap ? poursuivit le second.
-Un peu qu'on a un...rétorqua la blonde.

Le second fut plus qu'étonnée de voir un sourire naître sur les lèves de la jeune femme. Un sourire du genre pas très rassurant. Voire un peu malsain.

-Tortuga ? interrogea la jeune antillaise avec apréhension.
-Tortuga.

Le second poussa un soupir et retourna à son poste.