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Geneworld.net>Ficciones>Zeldar>Une leçon de vie en 24h

POR ZELDAR

Waouh ! s'extasia Rei devant le parc verdoyant, baigné par la bienveillance du soleil, où se promenaient des gens joyeux qui la saluaient au passage d'un signe de tête tout en souriant. Elle marcha longuement sur les sentiers de sable blanc qui sillonnaient gracieusement au milieu de cette éclatante verdure entre les amoureux assis côte à côte sur les bancs et les arbres dont la douce brise semblait faire chanter les feuilles. Elle ne parvenait pas à y croire, la main sur son front et la bouche légèrement ouverte. Ses yeux parcouraient cet endroit merveilleux et paraissaient rechercher le moindre détail.

Brusquement, elle sentit des secousses, puis un tremblement de terre, Rei regarda alors autour d'elle ; tout semblait calme et paisible, les passants continuaient leur chemin comme si de rien n'était, comme si seule Rei pouvait les sentir. Puis soudain, elle entendit une voix grave et calme lui dire: "Rei ! Lève-toi !"

Elle ouvrit lentement les yeux non sans mal et vit qu’à son chevet se tenait un homme, le visage doux et mélancolique, qui souriait tristement. Il avait la quarantaine, ses cheveux poivre et sel lui donnaient un air sage et réfléchi, ses quelques rides contribuaient à renforcer son allure sérieuse et impérieuse.

Elle dit doucement en grommelant sous son oreiller :
-"P'pa, on est dimanche ! Laisse-moi dormir encore un peu...
-Eh non princesse ! On était dimanche hier !"
Elle eut un sursaut, lança son oreiller sur le côté et regarda l'heure. Elle chercha son radio-réveil, tombé derrière la table de nuit car elle l’avait vraisemblablement poussé pendant son sommeil agité.

Rien . Il n'affichait rien. "Oh non ! Encore !?" cria-t-elle quand elle prit conscience qu’elle avait dû, en le poussant, débrancher son radio-réveil. De ce fait, celui-ci n'avait pas sonné. Son père qui ne semblait pas troublé, reprit d'une voix calme et sereine:"Ne t'inquiète plus ma chérie, tu n'es pas encore en retard. En entendant ton réveil tomber, je me suis réveillé et vu qu'il était l'heure, je suis venu te réveiller ."Elle ne dit rien mais un sourire commença discrètement à illuminer son doux visage, balayant sa mauvaise humeur matinale habituelle. Elle sauta dans les bras de son père et l'embrassa chaleureusement. Lui se contenta de lui tapoter le dos.

Son père. Cet homme en cet instant était habillé comme un homme d'affaire ; pantalon et veste gris de tristesse , chemise blanche de pureté et de bonté , seule sa cravate rouge striée de vert ressemblait à une once de gaieté. Ses boutons de chemise étaient alignés tels des militaires en rang. Ses chaussures de cuir noire semblaient représenter chez lui le côté sombre présent au fond de chaque être vivant...

Elle fit sa toilette en vitesse puis descendit l'escalier prendre son petit déjeuner. Rei mit ses toasts à griller puis alluma la radio pour patienter:"Hier soir , un nouvel attentat à la voiture piégée a fait douze morts et huit blessés graves à Bagdad..." Sur ce, Rei éteignit la radio avant de soupirer :"Si c'est pas malheureux...Que de mauvaises nouvelles à la radio...".Ses toasts sautèrent. Elle les beurra et les ingurgita en un éclair avant d'entendre un ton doux, paterne et suave :
-"Ne mange pas aussi vite ! Tu ne sens même plus le goût des aliments !
-De toutes façons, ça n'a même pas de goût, maman !
-Jeune fille ! Tu...enfin passons, tu vas être en retard pour le lycée ; je ne peux pas t'emmener en voiture aujourd'hui . Je dois aller travailler à la NERV™ tôt car mon entreprise renvoie à tour de bras...
-OK m'man ...Toutes façons tu ne m'as jamais emmenée en voiture."
Elle prit son sac à dos et sortit rapidement avant que sa mère ne la sermonnât .

Rei était une jeune fille de quinze ans sans problème apparent, que peu de choses motivaient. Elle avait les cheveux bruns et courts qui cornaient au niveau de ses joues, ses yeux couleur d'amande, mis-clos lui donnaient un air ennuyé ou somnolent.

Elle prit le chemin de son lycée quand il commença à pleuvoir. Elle entendit brusquement :
-"Salut Rei ! Le ciel pleure sur notre sort, on dirait...
-Tu m' as fait peur ! Mais pourquoi faut-il toujours que tu arrives dans mon dos ? Pour me faire peur ? C'est ça ? J'ai frôlé la crise cardiaque !
-Mais non... Tu exagères, comme toujours .
-Et puis , pourquoi le ciel se lamenterait-il sur notre sort ? Ce n'est pas comme si on avait un contrôle en première heure !
-Heu, Rei, justement si ! Ne me dis pas que tu as encore oublié ? Ca va faire quatre fois de suite !
-Pffff...Si je te répondais non, je te mentirais .Tu sais pourtant que je suis tête en l'air ! J'aime rêver, les rêves entretiennent la vie , les rêves sont les charpentes de la vie....
-As-tu lu Madame Bovary de Flaubert ?
-Nan, pourquoi ?
-Bon bah il te reste encore une semaine pour le lire...
-Quoi ? Oh non ! Ma semaine va être saturée..."
Rei fut interrompue par la pluie qui redoubla d'intensité et commençait à la geler jusqu' aux os. Sa chevelure ressemblait à présent à une éponge brune.

Les grosses gouttes de pluie s'écrasaient machinalement sur les feuilles mortes apportées par l' automne. Pour accéder au lycée le plus rapidement possible , ce que les lycéens n'avaient surtout pas envie de faire, ils devaient passer par le parc municipal. Ce parc entièrement brun dont les arbres avaient abandonné leur feuillage dans une guerre perdue d'avance contre le temps et les saisons, étaient à présent bombardés par les assauts incessants du ciel sombre. Des passants s'y trouvaient malgré le temps et l' heure, leur mines aussi maussades que le ciel lui-même , pitoyables.

Rei et son ami marchèrent longuement sur l'herbe car de toutes manières, les feuilles avaient recouvert de leurs corps en décomposition les sentiers mais le vent, le puissant vent, dans son élan de compassion, essayait en vain de les déblayer. Pendant toute la durée du chemin, aucun mot ne fut échangé. Les adolescents se regardaient de temps à autre, comme pour se forcer à engager une conversation digne de ce nom sans grand succès.

L' autre adolescent, qu'on appelait Cyril, était dans la même classe que Rei. Il lui ressemblait tellement que quelquefois, il fut pris pour son frère. Leur chevelure et leur yeux avaient la même teinte. Lui aussi était peu motivé. Leur différence la plus flagrante était sûrement leur expression. Tandis que le visage de Rei était aussi inexpressif qu'une vache, celui de Cyril, dont les épais sourcils étaient en permanence légèrement froncés, avait un air renfrogné, sérieux, calculateur. Ses cheveux ressemblaient plus à un champ de bataille qu' à autre chose. Il ne parlait jamais de ses loisirs ni de ses goûts, il ne parlait pas tout court sauf avec Rei, la seule personne avec laquelle il avait la moindre affinité. Ils s' étaient rencontrés car ils étaient nés à seulement un jour d' écart, et qu' ils étaient enfants uniques.

Ils arrivèrent donc devant leur lycée. Là, les attendaient patiemment leurs camarades de 2². Ils échangèrent ensemble des poignées de mains non désirées et des sourires de circonstance, devant la porte de la salle de contrôle. Un camarade demanda :"Alors miss marbre, on a bien révisé ?" d'un ton montrant qu'il connaissait d'avance la réponse. Rei ne répondit rien."Miss marbre " ... Ces paroles résonnaient dans sa tête. Elle l'avait entendue tant de fois. C'est ainsi qu'elle avait été surnommée à cause du fait qu'elle ne laissait jamais paraître ses sentiments ou ses arrières pensées. Les sentiments... à quoi servent-ils ? Elle ne savait pas quoi en faire, pour elle les sentiments étaient une faiblesse humaine qui ne faisaient que corrompre l'homme. Durant le contrôle, elle ne cessa de mordiller son crayon, pour évacuer le stress que provoquait cette torture psychique. Du reste, elle ne s'en rappellerait plus, car tous les contrôles se ressemblaient. Une feuille blanche, une longue torture, une sonnerie de "libération spirituelle".

Ce contrôle prit à Rei une énergie considérable. Malheureusement pour elle, la matinée venait à peine d'être entamée. Elle entra donc dans une seconde salle et s'installa au côté de Cyril.

Pendant le cours, elle eut une énorme envie de dormir, de continuer ce rêve qu'elle refaisait si fréquemment. Elle s'élèverait alors vers un pays merveilleux, son esprit briserait les barreaux de son enveloppe corporelle pour s'envoler, ne serait-ce qu'un bref instant, et son âme serait lavée de ses peines, souffrances et solitudes.

"Mademoiselle Drezal ! Vous irez visiter la lune plus tard !". Cette parole lasse du professeur fit ricaner les autre élèves. Rei avait inconsciemment posé sa tête sur ses avant-bras, croisés sur la table. Le professeur rajouta :"Je voudrais voir vos parents". Rei ne dit rien. Elle savait pertinemment que rétorquer au professeur ne servirait à rien et que ses parents ne pourraient venir au rendez-vous puisqu'ils n'étaient même pas présents pour elle.

Puis se fut l'heure de la cantine. Elle consomma le strict minimum car elle n'avait pas faim. "Courage, il ne reste plus qu'un cours" se disait-elle. A peine entrée en classe, elle entendit la voix du professeur accueillant ses élèves lui demander :"Alors Drezal, on a bien déjeuné ? Je vous rappelle que ce n'est pas en cours qu'il faut digérer !" Rei acquiesça sans parole. A chaque cours, le professeur lui répétait la même phrase comme pour enfoncer l' épine dans son cœur chaque fois un petit peu plus...

Enfin, vint l' heure de se quitter. Tandis que ses camarades se saluaient chaleureusement, Rei s'éclipsa discrètement. De toutes façons, ils ne remarqueraient pas son absence, ils ne lui prêtaient jamais d'attention. Il n'y avait que les professeurs et Cyril qui les remarquaient .

Rei n'avait pas envie de rentrer chez elle. elle décida donc de se promener malgré le ciel devenu pommelé. Elle aurait voulu vivre une existence moins quiète, plus extravagante, comme celles exhibées dans ses livres. Elle rêva tout en marchant, pensant au monde dans lequel elle aurait voulu habiter. Les cieux s'obscurcissaient. La bruine tomba. Un soupir sortit. Il fallait rentrer avant d' être trempée jusqu' aux os comme ce matin.

Arrivée devant son palier, elle allait pouvoir rentrer chez elle. Chez elle ? Etait-ce vraiment chez elle ? Sa maison qui lui paraissait d' habitude si accueillante, lui parut hostile. Songeant à ne pas rester dehors, elle se força à entrer.

Elle referma et verrouilla soigneusement la porte sur laquelle elle vit qu'un "post-it." jaunâtre avait été collé de travers indiquant : "Rei, n'oubli pas que tu as ton club d'échecs à 18h30. Mange sans moi, je ne rentrerais que très tard (Je suis à Saint-Laurent-des-eaux)".Elle soupira. Elle allait devoir une fois de plus dîner seule car son père, un brillant ingénieur de la Zérogoki™ , était encore une fois parti en déplacement et sa mère, secrétaire de la NERV™ rentrait très tard chaque soir. Elle grimpa les escaliers dont les marches craquaient bruyamment sous son poids, malgré le fait qu'elle fût svelte et légère, et entra dans sa chambre dont les stores étaient fermés car elle n'aimait guère la lumière et préférait l' obscurité, peut être à cause de son caractère...

Rei se posa sur sa chaise roulante qui traînait au milieu de cette chambre en désordre : un tapis de feuilles volantes par-ci, des pyramides de livres de cours et de distraction mêlés par-là et une pile de linge sale plus loin. Elle ferma de son pied la porte de sa chambre puis, s'aidant du mur comme appui, elle frappa de la plante de ses pieds le mur d'un mouvement doux et fort gracieux qui la propulsa juste devant son bureau, à l'autre bout de sa chambre. Là, elle déposa son sac qu'elle ouvrit pour sortir ses affaires et se mit à travailler. Lorsqu'elle eut fini, sa montre-bracelet sonna. Il était l' heure pour elle d' aller au club d' échecs. Enfin le premier point positif de la journée pour Rei ! Elle était rusée et n' essuyait que rarement l'amertume de la défaite. Seulement, elle subit le revers de ses victoires trop abondantes car les autres membres ne voulaient plus jouer avec elle à cause de l'issue certaine de la partie ...Mais cela la rendait indifférente car l'animateur lui offrait de la "chair à canon". Bref, enfin un milieu où elle était à la fois appréciée, respectée admirée et crainte, où elle avait sa place. Elle sortit son vélo et l' enfourcha. Elle se souvint d'un tournoi qu'elle avait remporté contre un jeune garçon de son âge qui l'avait sous-estimée et qui ne cessait de pérorer au lieu de jouer... du moins jusqu' à sa défaite écrasante. Ce doux souvenir décrocha un sourire d'ange à Rei. Elle pédala sur le chemin quand il se remit à pleuvoir. Rei pesta :" Roooh ! Le ciel est vraiment contre moi aujourd'hui!"Et comme pour lui répondre, le vent se leva, soulevant les feuilles qui, pour l'attaquer, se ruèrent sur Rei, l'aveuglant par moment.

Quelle fut sa déception lorsqu'elle arriva et ne vit personne ! Elle se souvint alors que l'animateur du club avait prévenu de ses vacances en Suisse la semaine précédente et qu'il y resterait durant une semaine. Elle était évidemment la seule à ne pas s'en être souvenue. Elle dut repartir et subir une fois de plus les assauts de Dame Nature. Son seul espoir de passer une "vraie" journée venait de lui fausser compagnie.

Elle rentra encore "chez elle", triste et abattue cette fois. Elle ne dîna point, elle n'avait pas la tête à ça. Elle était seule, personne n'était là pour la consoler, personne n'éprouvait le moindre besoin de lui parler, personne ne ressentait de compassion à son égard.

Sa chambre. Elle y entra. Le seul endroit sur Terre où elle avait sa place, où elle était importante. Le seul endroit sur Terre où elle éprouvait du bien-être ou plutôt, le seul endroit sur Terre où elle n'éprouvait pas de mal-être. Sa chambre, son dernier retranchement. Une forteresse impénétrable pour l'ennemi. Une forteresse au mur bleu ciel qui ne contenait qu' un bureau, un lit et une petite bibliothèque. Elle marcha sur ce parquet glacial puis s'effondra comme prise d' un malaise. Elle se hissa jusqu'à son lit et s'assit en tailleur, adossée contre le pied de son lit, la tête baissée, les yeux ouverts sans pourtant voir quoi que ce soit, absorbée dans ses pensée. Qui était elle ? Elle était Rei Drezal. Qui était elle pour les autres ? Elle n' était que le néant. Elle ne vivait plus car son cœur n'était plus qu'un bloc de glace dans une machine à l'apparence humaine. La vie ? A quoi cela servait ? Un jour chaque être vivant finissait par la perdre alors à quoi bon ? Non ! Il ne fallait pas qu'elle réfléchisse, elle était déjà assez névrosée comme cela. Elle enviait les autre qu'elle considérait comme simples d' esprit, elle qui réfléchissait trop en souffrait... souffrir de ne pas comprendre...

Avec un effort colossal, elle se leva d'un bond et s'installa à son bureau. Elle avait besoin de penser à autre chose, pour cela, elle dessina, dessina, dessina. Le temps défila sur son radio-réveil. Lorsqu'elle eut fini, sans savoir pourquoi, elle déchira son oeuvre. Elle se surprit, et tacha de recoller les morceaux. Son dessin représentait une jeune fille lui ressemblant mais rayonnante et souriante. L'avait elle déchiré par jalousie ? Non, elle l'avait déchiré car il avait été raté. Du moins, elle essaya de s'en persuader . Elle voyait de plus en plus flou ; elle pleurait. Elle alla se brosser les dents et vit son reflet dans la glace qu'elle tâta de sa main tremblante. Elle était devenue si pâle, comme un mort ou comme si le sang n'irriguait plus son corps. La joie de vivre l'avait quittée, absorbée par le dessin.

Ce fut terminé, son esprit était mort ...

Comme l'espoir entraîne le désespoir, vivre est parfois plus dur que de mourir...

Nos vies ne valent-elles pas la peine d'être vécues ? Alors ne pensons plus : VIVONS !!!

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