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Geneworld.net>Ficciones>Naikkoh>Tales of Symphonia - Ce que nous dicte le coeur- Partie II

11 - AU BOUT DU CHEMIN... POR NAIKKOH

(entre guillemets se trouvent les pensées des personnages)


Raine grogna et se retourna dans ses couvertures. Elle voulait encore profiter de la tiédeur de son lit pour prolonger sa nuit. Mais l’heure n’était plus à la fainéantise. Sheena étant à nouveau sur pieds, ils se devaient de repartir au plus vite. Repoussant les draps dans un soupir, encore dans les dernières brumes du sommeil, elle s’étira longuement tel un gros chat paresseux piquant une petite sieste sur une terrasse surchauffée. Il fallait peut être reprendre la route mais rien ne l’empêchait de prendre un peu de temps pour elle.
Etouffant un bâillement, la jeune femme se leva. La démarche peu sûre, elle poussa sa petite excursion jusqu’à la fenêtre, ouvrit la croisée et laissa avec délice les rayons de l’astre du jour caresser son visage. Cet endroit était si calme et apaisant… Quoi de plus normal ceci dit pour un lieu de recueillement. Le doux ressac de la mer l’emplissait toute entière d’une étrange sensation de plénitude. Elle se sentait tellement vivante en cet instant. Oui cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas éprouvé ça…
Le cri strident des mouettes la fit ouvrir les yeux et elle contempla un instant leur gracieux ballet aérien. Elles glissaient sur le vent, partaient à l’assaut des vagues, se riant des éléments qui étaient leurs compagnons quotidiens et toisaient ces pauvres créatures terrestres condamnées à rester clouées au sol sans aucune chance de goûter jamais à ces sensations si grisantes de liberté. Raine resta un certain temps à observer ces demoiselles du ciel, l’esprit vide.
Les pépiements des volatiles se firent soudain plus pressant. Un ban de poisson avait sans doute été repéré. Les plus rapides plongèrent vers les eaux mouvantes pour en ressortir avec un poisson dans le bec. L’action n’avait duré qu’une poignée de secondes. Aussitôt les chanceuses se firent prendre en chasse par leurs consoeurs affamées. Impitoyables, elles les harcelèrent, haranguant d’autres à se joindre à elles, jusqu’à ce que leurs cibles lâchent prise et abandonnent leur proie toute fraîchement pêchée.
Sans qu’elle puisse se l’expliquer, la vue de l’une des lois fondamentales de la nature, celle du plus fort, mit Raine mal à l’aise, lui laissant un arrière goût amer dans la bouche. Et ces mouettes se disputant un bout de poisson lui rappelèrent cruellement ce qu’elle vivait au quotidien. Manger ou être mangé… Finalement les êtres humains n’étaient qu’une bande d’animaux quoiqu’ils puissent en dire pour se persuader du contraire. En plus pernicieux...

Lorsqu’elle descendit dans la salle commune, Raine trouva ses compagnons attablés devant un solide petit-déjeuner et le spectacle qui s’offrit à elle renforça sa morosité. Même les prêtres, de nature pourtant discrète, faisaient office d’hôtes affables et souriants. Zélos d’ordinaire exubérant jouait machinalement avec sa petite cuillère, les yeux dans le vague et étrangement muet, Kratos avait le visage encore plus fermé que d’habitude et même Préséa semblait ailleurs, perdue dans la contemplation, ô combien passionnante, des circonvolutions dans son bol de chocolat chaud.
Dans un silence plus que pesant, Raine prit place à son tour à cette morne tablée. Certes l’heure n’était pas vraiment à la franche rigolade mais tout de même, ils pourraient faire un effort. Si le voyage de retour s’effectuait dans cette chaleureuse ambiance, ça promettait…
La demie-elfe remarqua alors l’absence de Sheena en cette heure matinale et se promit d’aller faire un saut dans sa chambre afin de vérifier que tout allait bien.

-----

Génis toussota. Il était transi de froid et tout son corps lui faisait mal. Il essaya d’ouvrir les yeux mais même un geste aussi simple ne lui fut pas permis. Pris d’un soudain accès de panique, le jeune demi-elfe gémit. Où était-il ? Il ne reconnaissait pas ces lieux. Etait-il mort ? Oui peut-être… Voilà qui expliquerait sa soudaine cécité. Il était dans les limbes de l’autre monde, celui d’une nuit sans fin. Comment était-il arrivé là ? Mystère. Tout ce dont il se souvenait c’était de cette vive douleur après avoir évité à Lloyd ce coup fatal. Ensuite rien. Le néant absolu. Allait-il errer pour toujours dans ce lieu si sombre et si froid ? Cela n’avait rien à voir avec ce que vantaient les prêtres de l’Eglise de Martel sur l’au-delà. Il n’y avait ici rien de lumineux, il ne se sentait pas empli d’une sérénité particulière, bien au contraire. Et puis ce lancinement dans sa poitrine… Normalement on ne ressentait plus rien lorsqu’on était mort, non ?
Ah, quelque chose d’humide venait se s’écraser sur son visage. Encore un phénomène bien étrange. Génis fronça les sourcils, perplexe. Non décidemment cela n’avait rien à voir avec le monde des esprits, il en était de plus en plus certain. Comme pour confirmer cette pensée, un écho de voix familières perça doucement les ténèbres dans lesquels il évoluait depuis quelques minutes.
- Lloyd… ? articula-t-il faiblement.

Un gémissement étouffé tira Lloyd de son demi-sommeil. Il avait cru entendre… non les seuls bruits qui emplissaient la grotte étaient ceux du peuple ninja, qui même à cette heure tardive ne cessait de s’affairer. Pourtant il aurait juré… Un nouveau petit grognement l’interpella. Baissant les yeux sur Colette, il s’assura que cela ne venait pas d’elle. Non, la jeune fille dormait toujours, la tête posée sur ses genoux. Se pourrait-il que…
Par acquis de conscience, il tourna son regard vers Génis. Celui-ci semblait s’agiter et Lloyd secoua doucement l’épaule de sa compagne.
« Colette, réveille-toi !
- Que se passe-t-il Lloyd ? demanda la jeune fille en se frottant les yeux.
- C’est Génis… Tu ne crois pas qu’on devrait aller chercher Atsuki ? Il n’a vraiment pas l’air bien…
- Ne t’inquiète pas, j’y vais », fit-elle doucement en lui serrant la main dans une tentative de réconfort.
Le jeune homme acquiesça distraitement et reporta son attention sur son ami. Dire qu’il s’en voulait pour ce qui était arrivé était un doux euphémisme. Mortifié serait le terme plus exact. Bien sûr ce n’était pas la première fois depuis le début de leur périple que le petit magicien se faisait blesser, mais pas comme ça. Pas à cause de sa propre stupidité.
La vision de Kratos le réprimandant pour son manque d’application lors de leurs séances d’entraînement s’imposa à son esprit et d’un geste rageur Lloyd tenta de la chasser. Penser à lui, à sa traîtrise, alors qu’il avait eu foi en lui était toujours comme un coup de poignard porté au cœur et il ne se passait pas un instant sans que l’épéiste se torture à propos de ça. Malgré les nombreuses preuves, une part de lui ne pouvait se résoudre à y croire. Et pourtant les faits étaient bel et bien là. D’une clarté limpide. Depuis le début, le mercenaire les avait tout simplement manipulés. Il n’y avait guère que Colette qui faisait comme si de rien n’était. Mais Colette était d’une telle compassion qu’elle aurait pardonné à n’importe qui. Les autres, eux, ne cachaient pas leur désarroi et leur mépris à son encontre. Lloyd ferma les yeux avec force. Il serait bien temps de retirer cette épine du pied plus tard. Pour le moment il y avait bien plus important.
« Lloyd… ? chuchota doucement Génis.
- Génis ! Non, ne parle pas. Tu ne dois pas forcer. Nous sommes là, tout va aller mieux à présent », répondit l’adolescent tout en contenant difficilement ses larmes.
Le demi-elfe voulut répondre mais Lloyd lui apposa doucement son index sur les lèvres.
« Chut, tu ne dois pas te fatiguer. Colette va revenir d’un instant à l’autre avec la guérisseuse.
- Je … suis… si… mal… en point… que ça ?
- Oh la routine quoi, ricana Lloyd nerveusement. T’as vu pire. »
Pour toute réponse, Génis tenta un petit sourire crispé qui lui arracha un léger toussotement.
- C’est bon de te revoir tu sais, souffla l’épéiste. Tu nous as fichu une de ses trouilles ! Mais qu’est-ce qu’il t’a pris ? Je pouvais l’avoir tout seul tu sais ! Génis je…
Il se sentait si misérable à cet instant qu’il aurait voulu que le demi-elfe se mette en colère contre lui et l’accable. Sa culpabilité aurait été plus facile à digérer ainsi. Mais ce dernier ne semblait pas vouloir l’entendre de cette oreille et se contenta de fixer son ami avec douceur et bienveillance.

Lloyd tenta un pâle sourire à travers ses larmes et serra plus fort les doigts de son ami entre les siens. Il entendit à peine Atsuki lui intimer l’ordre de s’écarter pour lui laisser la place et ce fut Régal qui, l’attrapant par l’épaule, le força à s’éloigner un peu.

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Le premier réflexe de Sheena en ouvrant les yeux par cette belle matinée de fin d’été fut d’aller vider le contenu de son estomac sur le dallage de pierre.
Par la Déesse ! Pourquoi fallait-il qu’elle soit si faible ! Elle pensait être devenue une ninja digne de ce nom mais visiblement il n’en était rien. Si cela avait été le cas, jamais elle n’aurait dû pouvoir laisser cet homme la toucher. Jamais. Rien n’avait donc changé depuis ce jour où elle avait failli au temple de Volt ? Tout n’avait été qu’illusion ? Ces récentes victoires les devaient-elles uniquement à ses compagnons et non à elle ?
La jeune femme jura en abattant ses poings serrés sur le sol et à travers ses larmes de honte, frappa encore et encore. Elle frappait sur ce porc qui avait failli la souiller, sur sa propre faiblesse, sur ce sentiment de honte qui ne la quittait pas alors que le seul coupable n’était en réalité que ce sbire du Pontife.
Un nouveau spasme lui souleva le cœur et elle se précipita dans la petite pièce attenante qui servait de salle d’eau. Ses tentatives pour se calmer restaient vaines et de secondes en secondes des tremblements incontrôlables l’envahissaient, faisant surgir de nouveaux sanglots. Elle l’avait l’impression que les mains de cet homme grouillaient partout sur son corps et cette situation la révulsait, lui faisant perdre petit à petit le peu de self-control qu’il lui restait encore. Avisant une cruche d’eau, elle la vida dans la bassine en faïence qui trônait sur une petite commode en bois. Le liquide était glacé, mais vu l’état dans lequel elle se trouvait elle ne s’en aperçut même pas, et se mit à frotter sans ménagement, à l’aide du gant de crin mis à disposition de l’occupant de la cellule monacale, chaque centimètre carré de peau. Bientôt celle-ci passa d’un blanc laiteux à un rouge carmin soutenu, ce qui n’arrêta pas sa propriétaire pour autant, bien décidée à effacer toute trace visible de son humiliation. Evidemment il n’y en avait aucune, cependant Sheena croyait dur comme fer le contraire et ce ne fut qu’après avoir écorché sa peau à vif que la jeune femme consentit à s’arrêter.
Durant tout le temps où l’invocatrice faisait sa « toilette », l’Ishkal s’était frotté doucement contre ses jambes, comme soucieux de lui prodiguer un peu de réconfort.
Sa présence sembla redonner à Sheena un sursaut de lucidité, et elle se laissa glisser, tremblante, le long du mur. Aussitôt la créature se nicha dans son giron et la jeune ninja referma ses bras autour d’elle, s’accrochant à sa présence tel un naufragé à sa bouée de sauvetage et hoquetant doucement.

Trois coups frappés à sa porte la firent sursauter. Ne pouvait-on pas lui ficher la paix à la fin ?!
- Sheena ? Tu es là ? appela une voix qu’elle identifia comme celle de Raine.
Elle ne s’était pas trompée puisque quelques secondes plus tard, la demie-elfe à la chevelure argentée apparut sur le seuil. Celle-ci jeta un rapide coup d’œil circulaire à la petite pièce, s’arrêtant en un froncement de sourcils sur la cuvette remplie d’eau rougie, la serviette roulée en boule à terre, écarlate elle aussi, avant de venir se fixer sur sa camarade recroquevillée au sol. La jeune femme poussa un soupir réprobateur et s’approcha le plus doucement possible de l’invocatrice, ne faisant aucun geste brusque afin de ne pas l’effrayer.
- Par Martel, Sheena… qu’as-tu donc fait ? demanda-t-elle d’une voix où une sourde inquiétude perçait.
Un gémissement plaintif fut la seule réponse qu’elle obtint.
Alors, avec d’infinies précautions, Raine l’attira à elle tout en lui murmurant des paroles apaisantes.
- Je vais juste soigner tout ça Sheena. Tu n’as rien à craindre, annonça-t-elle, repensant au dernier vol plané qu’elle avait subit en essayant de lui venir en aide.
A dire vrai, son postérieur n’avait pas très envie de se retrouver malmené une fois encore.
Sheena balbutia des excuses et, sans faire d’histoires, se laissa dorloter par sa compagne.

A force de caresses, la demie-elfe parvint à calmer la jeune femme. Sa respiration avait retrouvé un rythme normal, à mesure que les stigmates sur sa peau s’effaçaient sous l’action du sort de guérison.
Raine était soucieuse… La réaction de Sheena était tout à fait compréhensible mais elle n’avait pas pensé que cela l’aurait affecté à ce point. Comment allait-elle réagir maintenant face aux membres masculins du groupe ? La cohésion de la troupe allait sérieusement être mise à mal si l’invocatrice n’était pas capable de prendre sur elle. Que se passerait-il si elle flanchait en plein combat ? Parce qu’évidemment ces troubles du comportement se manifestaient toujours quand il ne fallait pas...
Elle savait que dans ce genre de cas, le temps était la meilleure des thérapies. Or ce luxe, ils ne l’avaient pas. Les évènements en cours étaient bien trop importants. Rien ne devait les retarder. Colette avait besoin de soins au plus vite. Cette maladie inconnue gagnait en effet chaque jour un peu plus de terrain et elle ne pouvait se résoudre à ne rien tenter. Elle s’était trop attachée à l’Elue de Sylvarant qu’elle avait vu grandir, tout comme Génis et Lloyd. Ces jeunes étaient tout ce qu’elle avait de plus cher ici bas.

La guérisseuse se mordilla la lèvre inférieure à la recherche d’une solution. Et s'ils laissaient Sheena à Mizuho ? Juste pour un temps, cela allait de soi. Non pas qu’elle soit devenue une gêne mais son instabilité psychologique était… un peu problématique. Après tout les ninjas étaient son clan, sa famille. Elle avait grandi parmi eux… Sans doute pourraient-ils lui venir en aide et apaiser ses tourments mieux qu’elle ne le ferait elle-même. Oui excellente idée. Il s’agissait seulement maintenant de le faire comprendre à Sheena sans qu’elle se blesse outre mesure. Elle avait si souvent tendance à s’emporter…
« Sheena, commença-t-elle un peu hésitante. Il faut que je te parle… Ne te mets pas en colère surtout, mais je pense qu’il serait mieux pour toi de passer quelques temps à Mizuho.
- Mizuho ? Pourquoi me parles-tu de ça ? Qu’est que Mizuho vient faire là ? demanda l’invocatrice étonnée.
- Et bien, je pense que parler de ton agression avec des amis qui te connaissent depuis toujours, avec ta famille…
- J’en étais sûre », explosa soudain Sheena en repoussant sans ménagement Raine.
Elle se releva d’un bond et commença à tourner en rond, tel un lion en cage.
- Alors ça y est ? C’est définitif ? J’ai officiellement été déclarée boulet ?! Merci Raine, merci ! Ça ne pouvait pas tomber mieux hein ? Débarrassons-nous d’un fardeau, j’ai tort? Elle ne nous sert plus de toute manière ! Et comme on ne va quand même pas l’abandonner attachée à un arbre derrière soi, renvoyons-là d’où elle vient ! éructa-t-elle avec colère.
La tension montait dans la petite pièce et à mesure que le ton de l’invocatrice enflait, la concentration de Mana prenait des proportions plus qu’exagérées faisant crépiter l'atmosphère. L’Ishkal couina comme dérangé par tant d’énergie dans l’air. Fatiguée par ces accès de rage de la part de son amie et forcée de constater que, comme elle le craignait, elle ne se contrôlait plus du tout, Raine lâcha la bonde à son propre ressentiment.
- Ça suffit oui ! Tu veux bien arrêter cinq minutes et m’écouter jusqu’au bout !?
Trop c’était trop ! Comme elle l’avait supposé, Sheena s’était encore emportée, piquée au vif dans sa fierté sans doute. Cela en devait agaçant à force. Autant d’habitude Raine ne s’en offusquait pas, autant là elle en avait assez. En proposant de la laisser à Mizuho en passant afin de retrouver un endroit calme pour se remettre, elle n’avait pas d’autres pensées que le bien-être de son amie. Non pas qu’elle croyait avoir moins de capacités à gérer cette crise que les habitants du village caché, mais elle estimait que seuls des amis de longue date, en qui l’invocatrice avait pleinement confiance, seraient à même de trouver les mots justes pour l’apaiser. Eux ils étaient en plein conflit et Raine était bien obligée d’admettre que l’ambiance guerrière qui animait le groupe des Elus ne seyait pas très bien à une thérapie. Ils étaient en permanence sur le qui-vive et vivaient finalement la peur au ventre de se faire attaquer à tout instant et que l’un d’entre eux y laisse la vie.
Evidemment qu’elle comprenait le désarroi dans lequel Sheena se trouvait ! Cependant, une part d’elle, égoïste, se félicitait que cela ne lui soit pas tombé dessus. Aussitôt elle se sentie honteuse et coupable. Cet homme avait mis à mal l’estime que la jeune ninja avait d’elle même ainsi que sa confiance en s’attaquant sans le savoir à une corde particulièrement sensible. Par sa force brutale, il avait réveillé en elle cette peur de paraître faible aux yeux des autres. Peur tout à fait légitime mais qui semblait exacerbée chez l’invocatrice. Son passé en était la cause, Raine le savait. Mais n’avait-elle pas déjà prouvé sa valeur en affrontant ses pires craintes au temple de Volt justement ? En apparence seulement, constata-t-elle amère.
La demie-elfe avait été gentille et compréhensive mais tout avait une limite. S’apitoyer sur son sort était si facile mais ne résolvait pourtant rien. En d’autres circonstances elle l’aurait laissé faire mais là ça n’était vraiment pas le moment. Le temps jouait contre eux et des décisions rapides devaient être prises. Si Sheena voulait continuer ainsi, soit. Elle ne l’en empêcherait pas mais elle le ferait ailleurs, que ça lui plaise ou non ! Tout le monde devait être opérationnel et oui, elle avait raison, pas de place pour les poids morts, même si cela devait réduire leur force d’attaque du tiers.
Raine culpabilisa à la seconde même où cette pensée se matérialisait dans son esprit. Elle avait beaucoup d’affection pour Sheena et s’en voulait d’avoir eu à l’appréhender en des termes si peu flatteurs au demeurant. Mais quelle autre solution s’offrait à eux ? Les armées du Pontife étaient sans nul doute en chemin pour les anéantir, ils avaient sur les bras un traître qui revenait la bouche en cœur, et Colette était en passe de se transformer en monstre tout comme Alicia et Clara, la femme du gouverneur de Palmacosta.
Alors, non elle ne voulait pas abandonner Sheena à son triste sort mais elle estimait qu’elle n’avait pas le choix.

Voyant que sa compagne n’était pas du tout décidée à entendre ce qu’elle avait à lui dire Raine se résolu de prendre le problème à bras le corps et d’un pas déterminé s’avança vers une Sheena qui bouillait de rage de se voir larguée comme un vieux mouchoir usagé.
La gifle retentit avec force et la ninja, stupéfaite, ouvrait et refermait la bouche, tel une carpe hors de l’eau, sans pouvoir prononcer une seule parole cohérente. Le geste de Raine l’avait soufflée.
- Ecoute-moi bien. Cette situation ne me plait pas plus qu’à toi mais pour le moment tu n’es pas capable de te maîtriser correctement. Ce n’est pas un reproche Sheena, juste une constatation. Sens-tu la quantité de Mana que tu es train de libérer dans ton courroux ?
L’invocatrice hocha la tête trop absorbée par le regard de Raine pour parler.
- Elle est tout bonnement énorme et oppressante. Imagine un peu pour une raison quelconque que tu dissipes ainsi toute ton énergie magique avant un combat ? Que se passera-t-il alors ? Je ne veux pas te juger, tu n’as pas à te sentir coupable de ça. Ce n’est pas de ta faute. Mais il faut que tu comprennes qu’en l’état actuel des choses, tu n’es plus capable de combattre, continua Raine dans un souffle.
Les yeux de Sheena se voilèrent de larmes. Plus capable de combattre ? Vraiment ? Mais qu’allait-elle devenir alors ? Ils allaient la laisser derrière… il ne lui resterait plus rien. Depuis que son grand-père, sa seule famille, était dans le coma, Lloyd, Colette, Génis, Raine, Régal, Préséa, et même Zélos, étaient devenus ses seuls amis. A Mizuho elle n’avait plus personne et la guérisseuse voulait l’y renvoyer !
« Cela ne m’enchante pas Sheena, mais c’est pour ton bien. Dans ton village tu seras au calme. Tu pourras faire le point sur toi-même et surmonter tout ça.
- Mais tu ne comprends pas... Personne ne m’attend là bas. Non... absolument personne. Je ne suis des leurs que parce que Grand-père a bien voulu de moi. C'est tout. Pour eux je ne suis que la meurtrière de leur mari, leur père, leur frère. Une invocatrice de pacotille qui pourrit tout ce qu'elle touche. Une sale étrangère dont le chef a eu pitié un jour. Ils me tolèrent plus qu'ils ne m'acceptent vraiment...Je... je ne suis rien », gémit-elle en miaulement plaintif qui fendit le coeur de Raine.
- Oh Sheena… », compatit-elle en l’enlaçant.
La demie-elfe savait exactement ce qu’elle pouvait ressentir. Elle-même avait si souvent été rejetée au cours de sa vie que le désespoir de sa compagne raviva sa propre plaie au cœur.
Comme elle aurait voulu lui épargner ça… Néanmoins elle savait que sa décision été la bonne. Ils ne pouvaient pas faire autrement.
« Je t’en prie Sheena, ne me rends pas la tâche plus compliquée qu’elle ne l’est déjà… S’il-te-plait… Tu ne peux pas continuer dans cet état.
- Ne m’abandonnez pas, supplia la jeune femme. Raine…
- Sois raisonnable. Je te promets qu’on reviendra vite, répondit-elle en l’embrassant sur le front. Le temps de soigner Colette. Au moins nous aurons un problème en moins à régler. Et puis ça te laissera le temps de te retourner et à nous aussi. Je doute que pour le moment tu sois à même de supporter une présence autre que féminine et je suis sûre qu’en toi-même tu le sais déjà. Mizuho n’est pas l’idéal, j’en conviens, mais je serais plus rassurée si je ne te confiais pas à de parfaits inconnus. »
Vaincue par le raisonnement de son amie et se raccrochant à l’espoir que cet éloignement serait de courte durée – Lloyd ne laisserait jamais Colette dans cet état bien longtemps – Sheena finit par acquiescer et se laissa conduire doucement à sa chambre. La sentence de Raine l’avait comme étourdie et elle ne prononça pas un mot tandis que la jeune femme aux cheveux argents ramassait ses maigres effets personnels dans sa besace.

Sheena se sentait détachée de tout et comme dans un rêve, flotta à l’étage inférieur, l’Ishkal enroulé autour de son cou. C’est à peine si elle entendit Raine s’adresser aux autres en annonçant leur départ imminent, à peine si elle se rendit compte du regard anxieux de Préséa sur elle. Docilement, elle suivit la demie-elfe sur le perron où Noishe les attendait, harnaché comme une vulgaire bête de somme à une petite carriole prêtée aimablement par les représentants de l’église de Martel. Raine dut la prendre gentiment par le bras car l’invocatrice restait là, les bras ballant et le regard dans le vide, sans volonté propre, attendant le bon vouloir du destin lui sembla-t-il. Elle l’installa à l’arrière et l’enroula dans une couverture, puis fit signe à Préséa de garder un œil sur elle. La fillette s’exécuta aussitôt et se cala à coté de Sheena. Instinctivement, cette dernière se tassa dans son coin lorsque Zélos prit place à son tour à l’arrière. Le jeune homme feint de ne pas le remarquer, lui tournant le dos pour se concentrer sur la pelouse si bien entretenue de l’Abbaye. Raine remercia alors chaleureusement leurs hôtes pour leur accueil et leur discrétion quand à leur présence ici et rejoignit Kratos sur le siège avant.
La carriole s’élança sur le chemin de gravier soulevant un fin nuage de poussière.

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- Ainsi tu t’en vas donc… une fois encore…
Sélès contemplait songeuse le nuage de poussière qui tardait à se dissiper, unique vestige de la présence du groupe des Elus au sein de ce lieu de prière reculé.
- Prends soin de toi mon frère… Vis ta vie pour moi qui n’en ait pas le droit.
Ses poings se serrèrent autour d’une étoffe de laine grisâtre tandis qu’une traînée d’eau salée sillonnait sa joue.
« Adieu…
- Mademoiselle ? C’est l’heure », annonça timidement le jeune officiant qui, après avoir frappé trois coups discret à la porte de sa chambre, avait pénétré dans la pièce.
Sélès poussa un soupir résigné et ferma les yeux un instant, chassant toutes les questions sans réponse de son esprit. Lorsqu’elle les rouvrit, elle était à nouveau sereine, ayant relégué son désarroi en arrière plan.
- J’arrive, souffla-t-elle. Partez devant.
La vieille écharpe blanche usée tomba à terre et Sélès ne la ramassa pas.


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Le voyage jusqu’à chez Altessa se passa dans le silence, chacun n’ouvrant la bouche que lorsqu’il ne pouvait faire autrement. La morosité générale sembla même avoir gagné Noishe qui leur avait pourtant fait la fête au début. A présent il tirait la carriole la tête basse et la queue entre les pattes. Seuls les moments où ses compagnons humanoïdes l’autorisaient à une petite course dans les hautes herbes des plaines qu’ils traversaient l’égayait un peu.
Raine n’avait qu’une hâte, c’était qu’ils arrivent enfin à destination. Elle en avait plus qu’assez de l’inertie de la troupe et des regards fuyants, même s’il était difficile de leur en vouloir. Ce fut donc avec un immense soulagement qu’elle foula la terre battue devant la maison du nain. Elle se précipita à l’intérieur afin de prendre des nouvelles de Colette tandis que les autres s’occupaient de rendre à Noishe sa liberté de mouvement.

Kratos était en train de désangler l’animal lorsque la demie-elfe, visiblement en colère le héla :
- On repart ! Immédiatement !
Le mercenaire haussa un sourcil circonspect.
- Un problème ?
Raine lui jeta un regard noir sans équivoque.
- Plus tard, réattelle Noishe. Préséa ! Zélos ! On s’en va.
Sous la fureur évidente, Kratos y décela une sourde inquiétude et jugea bon de ne pas insister davantage. Il s’exécuta tandis que la jeune femme rassemblait les autres.
Préséa qui était assise sur le muret à coté d’une Sheena toujours amorphe jeta un coup d’œil anxieux à la guérisseuse en lui désignant la ninja.
- Oui je sais, mais on n’a pas le temps, répondit-elle à sa question muette. Allez monte dans la carriole, je m’en occupe. Zélos ! En route dépêches-toi.
L’Elu de Tésséha’lla shoota négligemment dans un caillou avant de se diriger sans trop se presser vers ses compagnons comme si toute cette agitation ne le concernait pas et était le dernier de ses soucis. Il s’installa néanmoins à coté de la combattante à la hache pendant que Raine attrapait Sheena par le bras pour la faire entrer à l’intérieur de la demeure du nain. Celle-ci ne se laissa pas faire, sortant soudain de sa léthargie et freina des quatre fers, bien décidée à ne pas se laisser abandonner à l’arrière. Kratos leva les yeux au ciel devant pareil spectacle affligeant. Un bon coup sur le crâne et on en parlerait plus. Mais non, il fallait toujours que Raine essaye de jouer les diplomates. Enfin… qu’ils se débrouillent ! Ça n’était pas son problème après tout.
- Allez Sheena ! Ne fais pas ta tête de mule enfin ! supplia la guérisseuse.
Mais la ninja semblait décidée à la faire justement et paraissait plutôt terrifiée à l’idée de rester avec le nain. Elle secouait frénétiquement la tête tout en refusant d’aller plus loin. La demie-elfe entreprit alors de la pousser à l’intérieur de la maisonnette, s’arc boutant contre le dos de Sheena. Celle-ci glapit d’indignation et s’écarta vivement, privant ainsi sa compagne de ses précieux appuis. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, Raine se retrouva à mordre la poussière. L’incident n’eut même pas le mérite de dérider les autres tant l’atmosphère était tendue. Grognant et jurant la demie-elfe se relevant en époussetant ses vêtements.
- Très bien, tu l’auras voulu, grinça-t-elle entre ses dents.
De rage, elle tira Sheena jusqu’à l’arrière de la carriole où elle la balança sans ménagement. L’invocatrice roula contre Zélos et eut aussitôt un mouvement de recul spectaculaire, comme si ce simple contact l’avait marqué au fer rouge, tandis que Raine retrouvait sa place à l’avant apparemment indifférente à l’incident. Seul Kratos remarqua ses jointures blanches à force de serrer les poings.
Les choses s’annonçaient décidément mal… très mal même. Quelle idée saugrenue était encore passée par la tête de ce benêt de Lloyd ? Il était suicidaire ou quoi ? Dès qu’elle l’aurait sous la main elle lui ferait passer l’envie de jouer les héros !
Pestant contre son jeune élève, Raine ordonna sèchement le départ et lança un regard peu amène à l’arrière histoire de tuer dans l’œuf toute protestation. Personne ne pipa mot, peu désireux de venir se frotter au Professeur Sage quand elle était dans cet état là. Même Sheena qui semblait replongée dans son apathie ne dit rien. Tremblant de tous ses membres, la respiration hachée en raison de son contact accidentel avec un représentant de la gent masculine, elle tentait de se dissimuler derrière Préséa –chose plutôt difficile vu la corpulence de la fillette. Après l’avoir observé en silence un moment, Zélos tourna négligemment la tête vers l’extérieur du chariot et, le menton reposant sur sa main, feignit de porter un intérêt tout particulier à un couple d’insectes bourdonnant dans l’air. Le départ sur les chapeaux de roues le déstabilisa un instant et il s’apprêtait à lancer une remarque cinglante à Kratos quand il croisa le regard désapprobateur de Préséa qui, secouant silencieusement la tête, le dissuada de dire quoique ce soit.

La peur au ventre, Raine pensait avec angoisse à ce qu’ils allaient trouver au village de ninjas. Tout un escadron… décidemment le Pontife ne faisait jamais les choses à moitié !
Le cerveau tournant à cent à l’heure la demie-elfe passait en revue les différentes possibilités qui justifieraient une telle démonstration de force. Aux dires de Zélos, même si ce n’était pas la franche amitié, Meltokio et Mizuho n’étaient pas à couteaux tirés en ce moment, étant donné que le premier monnayait les services du second. Etait-ce cette enclave indépendante au sein du royaume que les dirigeants de Tesséha ‘lla voyaient finalement d’un mauvais œil ? Ou bien fallait-il chercher ailleurs ? La trahison de Sheena et son ralliement à leur cause étaient-ils le motif qui manquait au roi pour étouffer un mouvement contestataire et indépendantiste sur son territoire? Probable en effet… ce qui expliquerait l’attaque dont le groupe avait été victime à Meltokio. Seulement ce qui inquiétait Raine c’était surtout le nombre de soldats qui avaient été dépêchés pour cette « mission ». Un déploiement si important ne pouvait signifier qu’une seule chose. L’anéantissement.
Mais à quoi pensait Lloyd ? Ils étaient à un contre cent ! Certes ils avaient remportés des batailles mais jamais face à un si grand nombre. Ils ne faisaient pas le poids, encore moins à trois. Même avec la magie de Génis, c’était impossible. La différence numérique était trop grande. L’avaient-ils compris à temps et renoncé à se lancer tête baissée dans un combat perdu d’avance ? Elle l’espérait. Seulement voilà, Lloyd était un idéaliste au grand cœur et elle savait qu’il n’aurait pas supporté de rester sans rien faire alors qu’on massacrait des innocents. Bon sang ! Raine détestait ce sentiment d’impuissance. La partie avait déjà été jouée en leur absence et elle avait peur de connaître l’identité du vainqueur. Et Génis qui était embarqué dans cette affaire ! Pourquoi ne l’avait-elle pas attaché purement et simplement avant de partir d’Isélia. Au moins elle serait davantage rassurée sur ses chances de survie dans un conflit qui les dépassait tous. S’imaginer découvrant le corps sans vie de son petit frère la remplit d’effroi et elle ne put retenir un gémissement.
Un doux frôlement contre sa main la ramena à l’instant présent. Levant les yeux elle découvrit le regard emplit de sollicitude que Kratos posait sur elle. Loin de l’apaiser, cette attitude ne fit au contraire qu’augmenter son agacement et, d’un geste sec, la guérisseuse ramena sa main à elle. Fronçant les sourcils, elle toisa avec mépris celui qui était à la botte d’Yggdrasill et se concentra sur le paysage devant elle. Bientôt ils arriveraient à Mizuho et seraient fixés quand au sort de leurs compagnons. Raine rongeait son frein à mesure que les bosquets défilaient et que se profilaient au loin la sombre forêt de Gaorrachia. Toutes ses pensées étaient tendues vers Lloyd, Régal, Colette et surtout Génis.
"Déesse Martel je vous en prie ! Faites que ces jeunes fous soient encore en vie !"

La journée tirait à sa fin lorsqu’ils abordèrent la dernière courbe du chemin de terre menant au village de ninjas. Le soleil couchant projetait au sol les ombres de manière inquiétante. L’atmosphère était bien calme. Trop calme. D’ordinaire, le crépuscule était le théâtre d’une activité intense. Les espèces diurnes rentrant au bercail croisaient les habitants nocturnes se préparant à partir en chasse en un concert de bruissements d’ailes, de pépiements divers, de croassements et de stridulations. Là, rien de venait troubler le crissement des roues cerclées de métal de la charrette sur les cailloux du chemin carrossable. Ce n’était pas normal. Quelque chose ne tournait pas rond.
Dépassant le dernier groupement d’arbres, Mizuho s’offrit alors à eux.
Noishe s’arrêta soudainement. Et ce qu’ils virent alors glaça le sang de Raine.
Rien.
Il n’y avait rien.
Rien d’autre qu’un champ de ruines encore fumantes au dessus duquel planaient des hordes de corbeaux dont les appels rauques retentissaient, lugubres, aux oreilles des arrivants.
Le village ninja avait été tout bonnement rasé de la carte.
Raine déglutit péniblement et ne put s’empêcher de tourner la tête en direction de Kratos. Le mercenaire lui offrit un visage fermé et rien n’indiquait que la vue d’un tel spectacle lui fasse le moindre effet.
"Comment peut-il rester de marbre? Ce ne doit pas être le premier charnier auquel il a dû assister… voire participer. Normal qu’il soit autant blasé. Ceci dit je ne pense pas que je pourrais m’habituer à pareil tableau morbide si j’étais à sa place", songea Raine pas vraiment surprise au fond de la réaction de l’Ange du Cruxis.
- Quelqu’un aurait-il oublié d’éteindre une chandelle ? railla Zélos qui s’était levé afin de voir la raison de cet arrêt soudain.
Sa pâle tentative d’humour tomba à plat devant l’absence de réaction des autres et le rouquin se rembrunit, ses yeux glacés parcourant l’étendue du désastre. Les champs ceignant le village avaient dû être piétinés par des dizaines de chevaux. Quelques montures s’étaient d’ailleurs égaillées ça et là en l’absence de leur cavalier, confirmant ainsi son hypothèse. Les cadavres de certains de ces équidés gisaient pitoyablement dans les rizières, polluant pour longtemps la ressource en eau. Ces terres, peu fertiles de nature, avaient été travaillées sans relâche par des générations, et en quelques minutes, ces longs siècles de labeur collectif venaient d’être réduit à néant. Même s’il avait des rescapés au massacre, leur sort ne serait guère enviable. Sans toit où s’abriter des monstres peuplant la région depuis peu, et sans eau pour survivre, l’Elu ne leur donnait que peu de chances. Il ne pensait pas que le Pontife en arriverait à de telles extrémités pour se débarrasser du réseau d’information de Mizuho. Qu’avait-il donc de si important à cacher aux yeux du monde ? Et surtout quels intérêts servait-il ? Les siens, ceux de la royauté ou bien encore… ceux du Cruxis ? Kuchinawa, la mise à prix de leurs têtes, la présence de Kratos à leur coté… serait-il possible que tout soit lié ? Mais dans ce cas, dans quel but ? Ne trouvant pas de réponses immédiates à toutes ces questions, Zélos les relégua en second plan, bien décidé pourtant à y mettre bon ordre plus tard.
- Par Martel… Il…il faut aller voir ! fit Raine la voix fêlée, tentant de juguler la panique qui de secondes en secondes montait en elle. Il y a peut-être des survivants.
Inutile de préciser à qui la demie-elfe faisait vraiment allusion…
Le chariot s’ébranla doucement vers ce qui était autrefois le mur d’enceinte de Mizuho. A mesure qu’ils avançaient la brise légère leur renvoyait au visage des relents de charognes qu’on n’aurait pas pris la peine de mettre en terre, les prenant à la gorge. Raine et Préséa se couvrirent immédiatement la bouche d’une main, Zélos fronça le nez de dégoût, tandis que Kratos, toujours impassible, engageait l’attelage à l’intérieur du village… enfin de ce qu’il en restait.

Où que leur regard portait, tout n’était que ruines et désolation. Des habitations faites de bois, de chaume et de torchis, il ne restait que des tas de cendres encore fumants. Certains foyers n’avaient pas achevé leur combustion et il n’était pas rare de trouver une poutre de soutènement encore rougeoyante. De loin en loin le fracas des murs finissant de s’écrouler sur eux même brisait le silence de mort et la triste rengaine des corbeaux qui semblaient avoir pris possession des lieux. Zélos s’avisa qu’il y en avait de plus en plus à bien y regarder, les croassements se faisant de plus en plus pressant. Cette lancinante litanie commençait à lui tapait sérieusement sur les nerfs. Jetant un coup d’œil à ses compagnons il put constater qu’il n’était pas le seul à en être irrité. Raine lançait des regards nerveux alentours et l’impassible Préséa n’avait pas l’air bien à l’aise non plus. Le jeune homme se tourna alors en direction de l’invocatrice qui semblait absorbée dans ses pensées, comme indifférente à ce qui l’entourait.

Sheena contemplait, atterrée, le lieu où elle avait grandit… De son foyer il ne restait rien. Plus ils avançaient vers la place centrale où se dressait la maison du chef, plus ils découvraient des corps sans vie, à moitié carbonisés, jonchant le sol. Le puit du village avait été empoisonné par des cadavres. Il ne semblait pas y avoir de survivants. Raine s’affairait dans les décombres. A la recherche de personnes à sauver sans doute et très certainement pour vérifier que son frère ne faisait pas parti du massacre.
Comment avait-on pu en arriver là ? Tous ces morts, toute cette haine… Mais pourquoi ? Qu’avait donc fait son peuple ? De quel crime le punissait-on ? Et elle ? Pourquoi était-elle là ? Vivante. Alors que tous étaient sans vie. L’histoire se répétait-t-elle donc encore et encore ? Où était-elle pendant que les autres se battaient ? Que faisait-elle alors que les siens auraient eu cruellement besoin de ses pouvoirs ? Elle se morfondait sur son pauvre sort et les avaient condamnés à cette fin ignoble. Une fois encore elle n’avait pas été là pour son peuple, sa famille, ses rares amis. Mais là il n’y avait personne pour lui cracher au visage, la regarder avec haine ou pitié. Non il n’y avait que la mort autour d’elle.
Le vent se leva et l’enveloppa de son souffle glacé, faisant voleter ses cheveux d’ébène autour de son visage et soulevant sa robe de lin blanc. Elle frissonna par réflexe, mais ce n’était rien en comparaison du froid intérieur qui montait petit à petit en elle. Tous ces gens étaient morts par sa faute. Parce qu’elle avait rejoint le groupe de Colette, parce qu’elle était faible au point de ne pouvoir protéger son peuple, parce qu’elle avait fui devant les responsabilités qu’on lui avait confiés, parce qu’elle n’était qu’une incapable. Qu’avait-elle besoin de s’accoquiner avec l’ennemi ? On ne lui demandait pas de penser qu’une cause était juste ou non, seulement d’accomplir sa mission, en véritable ninja. Même sur quelque chose d’aussi élémentaire, elle avait échoué misérablement. Elle n’était pas une ninja. Mais qui était-elle donc ? Où était sa place alors ? Y en avait-il seulement une pour elle ? Les frissonnements se transformèrent en tremblements qu’elle tenta d’apaiser en serrant ses bras contre elle. Elle avait faillit. Sur tous les plans. Et cette prise de conscience déclancha en elle un véritable raz de marée. Cela commença par le bout de ses doigts qui se mirent à fourmiller de manière désagréable. Dans ses oreilles bourdonnantes les croassements raillards des corbeaux se répercutèrent en un écho infini. La terreur s’empara d’elle tel un serpent sournois qui se faufilerait dans le moindre recoin de son pauvre corps, dans chaque parcelle de son âme meurtrie. Le vent enflait de secondes en secondes portant les moqueries des volatiles à son encontre. « Vois donc ton œuvre », semblaient-ils dire. « Merci pour le festin », ricanaient-ils dans sa tête.
L’invocatrice se mit à haleter, en proie à ses propres démons intérieurs et recula tout contre le chariot. Aucun de ses compagnons ne s’était aperçu de son manège, bien trop occupés à fouiller le charnier à la recherche de survivants. Les mains sur les oreilles, les yeux fermés, Sheena essayait vainement de chasser ces visions morbides de son cerveau. Las. Le moindre souffle d’air, elle le percevait comme une tempête dirigée à son encontre. La brise qui caressait sa peau étaient les âmes de ceux qui étaient morts par sa faute. Le crissement des fourmis sur le sol était le grondement de la terre en colère. Un battement d’ailes la faisait sursauter plus que de raison, l’obligeant à se recroqueviller davantage. Ces sombres volatiles l’observaient de leurs petits yeux cruels et n’attendaient qu’une chose : fondre sur elle pour déchiqueter sa peau et se repaître de ses entrailles. Tout était déformé, disproportionné, dans la confusion de son esprit, l’entraînant dans un tourbillon d’images cauchemardesques. Prise de vertige, assaillie de toute part, la jeune femme sentit ses jambes se dérober sous elle avant d’être précipitée dans un abîme sans fin.
Et son esprit flancha.
L’essence même de son être se retrouva noyée, engloutie dans de profondes ténèbres. Sheena posait maintenant sur le monde des yeux mornes et sans vie. Elle resta assise là, à se balancer d’avant en arrière dans la poussière. Rien ne pouvait plus l’atteindre. La réalité qu’elle croyait sienne n’était qu’illusion. Tout n’était qu’illusion.

C’est alors qu’un son inconnu vint résonner à ses oreilles. Un tintement. Comme une clochette. Une clochette qui porterait une mélopée étrange, à la fois douce et pressante. Cette litanie basse était envoûtante et tourbillonnait autour de la jeune ninja. Celle-ci releva la tête, cherchant l’origine de ce phénomène. Son regard atone balaya alors l’ancienne place du village, à présent dévastée. Une bourrasque plus forte que les précédentes s’engouffra dans sa chevelure et lui fit tourner la tête en direction de la forêt de Gaorrachia dont les branches des arbres ondulaient au rythme de la brise et semblaient l’appeler.
Hypnotisée par la mélodie, Sheena se leva et comme un automate s’avança en direction de la lisière inquiétante, à quelques cinq cent mètres de là. Le chant se fit plus pressant et caressant, distillant des accords mielleux destinés à réduire à néant la volonté de sa victime, à mesure que la distance entre elle et la forêt maudite se réduisait.
Mais Sheena n’avait pas peur. Non. Résignée, elle acceptait cet appel qui la guidait probablement vers sa perte, poussée par une force inconnue à laquelle elle ne pouvait et ne voulait pas résister. D’étranges voix venaient susurrer à son oreille des phrases dont elle ne comprenait pas le sens, mais qui trouvait curieusement leur place tout au fond d’elle, comme si elle les avait déjà entendue. Portée par leur encouragement, la jeune femme se retrouva devant les premiers taillis qui marquaient la limite entre le monde de la lumière et celui des ténèbres régnant sous le couvert végétal. Elle marqua soudain un temps d’arrêt, indécise et réticente à s’enfoncer plus avant dans le domaine arboré. L’appel résonna, plus impétueux que jamais et un spasme violent secoua le corps de la jeune femme, la forçant à avancer. Les buissons s’écartèrent pour lui ouvrir le passage, Sheena foula de son pied nu le sous-bois moussu et les branchages se refermèrent sur elle, la happant dans les tréfonds de la forêt maléfique dans un froissement lugubre de feuilles.


_______
Red is dead ( La cité de la peur – Les Nuls)


Naikkoh : Bon alors là j’ose même pas regarder la date de poste du précédent chapitre tellement j’ai honte ! Je vous prie à tous d’accepter mes excuses pour ma lenteur incroyable à boucler ce chapitre. Vous l’attendiez, maintenant vous l’avez et j’espère sincèrement qu’il ne décevra pas votre attente.

Sheena : Pour ce que l’histoire avance, t’aurais quand même pu faire un effort non ? ><

N : oui je sais… mais que voulez-vous flemme+manque d’inspiration+Dofus= « je-mets-3 plombes-à-m’y-remettre » T_T. Encore une fois j’ai honte.

Génis : Pfff la belle affaire. Sauve-moi donc au lieu de pleurer sur ton pauvre sort è_é

N : Oui, oui ça va venir… ou alors… je vous fais tous mourir au prochain chapitre dans une énoooooooooorme explosion atomique comme ça je serais débarrassée :o)

Zélos : Ose un peu pour voir !

N : Je veux mon n’veux ! Alors on va dire donc *commence à taper son texte* : « Et pendant qu’ils étaient tous là, à chercher des survivants, Yggdrasill le juste – oui j’ai bien écrit le juste, ça vous pose un problème ?! -, du haut de son inaccessible royaume de Derris-Kharlan, appuya sur le petit bouton rouge en dessous de l’écriteau « à n’utiliser qu’en cas d’extrême urgence ». Les habitants des deux mondes virent une immense comète briller dans le ciel. Et là ce fût la fin. FIN »

Z : Non mais c’est quoi cette fin bouseuse là ! A moi vous autre !

G et Raine : « Prism Star »

N s’est pris 30 hit dans la face et meurt sous les coups. Qui a besoin d’un auteur aussi lent et incapable hein ? XD

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