2e jour de Renop, 1237
La pâle lumière du jour se frayait un chemin au travers des interstices qui séparaient les massifs blocs de granit. Elle louvoyait parmi les pierres, débouchait sur de sombres corridors, se réflétait sur l'humidité suintante et crasseuse qui tapissait les murs branlants du donjon.
Gorn, toujours vêtu de son armure de cuir jaune et enchantée (du moins, il était persuadé qu'elle était enchantée, bien qu'il n'y en eût aucune preuve jusqu'à présent), avançait hardiment, l'épée Thorn au clair. Il descendait d'un pied ferme de nombreuses marches glissantes, érodées par le temps, et s'enfonçait toujours plus profondément dans l'antique donjon. Le bruit flasque et boueux qui ponctuait chacun de ses pas ne tempérait en rien leur caractère résolu. Jusqu'ici, il n'avait rencontré que peu de résistance. Les Armures Sans Tête et les Yeux Bondissants se faisaient rares, tandis que les Crânes Flottants étaient devenus le gibier habituel des aventuriers ; ces derniers les avaient rassemblés dans une salle à la surface afin de pouvoir les écraser à tours de bras sans se fatiguer à leur courir après.
Mais cet entraînement n'avait que peu d'intérêt pour Gorn. Il était là dans un seul but. Il était là pour se venger.
L'endroit lui était familier : ces sombres couloirs, il les avait déjà parcourus. Ces portes aux mécanismes complexes, elles gisaient maintenant grandes ouvertes. Ah, qu'il paraissait loin ce temps où, au lieu de chercher à prendre épouse et à fonder une famille, il courait après des femmes aux formes éthérées, bleutées, translucides, spectres de ces salles fétides et lugubres ! Qu'il était loin ce temps où pousser des boutons et tirer des leviers suffisaient à occuper toutes ses pensées !
Gorn en resta là de ses réflexions. Il reconnut l'endroit où ses pas l'avaient conduit. Il sortit un morceau de parchemin, sur lequel était griffonné, de sa main, un semblant de carte. Il s'approcha de l'un des rares rais de lumière. Il hocha la tête, silencieusement, et affermit sa poigne sur la garde de son épée.
Car il était enfin arrivé devant la Troisième Salle Du Troisième Niveau. Devant le lieu où il s'apprêtait maintenant à assouvir sa vengeance.
Une porte en métal rouillé lui barrait la route. Sa solidité apparente et la qualité de ses gonds semblaient défier les aventuriers : une porte si solide ne pouvait garder que les plus immenses trésors. Gorn savait pourtant à quoi s'en tenir : aussi ouvrit-il la porte.
Derrière, une petite armée d'hommes-grenouilles attendait qu'un explorateur imprudent franchît le seuil pour déclencher l'embuscade. Quelle ne fut pas leur surprise lorsqu'ils virent le nouveau venu, tout de jaune vêtu, les apostropher, non, les défier !
- Hé, les crapauds, vous vous rappelez de moi ? Non ? Qu'à cela ne tienne, moi je me rappelle de vous, batraciens mal fagottés ! J'suis level 27, à présent ! Ha ha !! On fait moins les malins maintenant, hein ?
Les hommes-grenouilles échangeaient des regards nerveux et perplexes, ne sachant coâ penser. Gorn n'attendit pas et fonça dans le tas.
...
Lorsque Gorn revint à la lumière du soleil, couvert des pieds à la tête de sang poisseux et verdâtre, il leva le visage vers le ciel et esquissa un sourire. Il paraissait soulagé.
- Haaa, ya pas à dire, ça défoule. Bon : les momies maintenant. Elles aussi ont besoin d'une petite correction. Non mais ! C'est pas les monstres qui auront le dernier mot ! Y'vont pas faire la loi, non plus ! J'm'en vais leur montrer, moi, de quel bois je me chauffe quand on me fait perdre de l'expérience !
Tout en poursuivant ses grommellements sans queue ni tête, il se remit en route. |