-Il n'y a pas de suite -
Je me souviens du premier jour. Le soleil parait de couleurs chatoyantes les façades blanches des immeubles. Je marchais. L’air mielleux caressait mon visage, me montrait l’horizon. J’accélérais le pas. Les pavés gris clairs baignés d’une lueur douce semblaient me guider au loin, là-bas. Je courais. Au début ce n’était qu’un murmure. Je ralentis. Puis, quelques notes me vinrent. Je repris mon souffle. Ensuite, cela s’intensifia, le son devint plus net. Regardant mon reflet sur la vitre d’une boutique, je me hâtai de me recoiffer. La mélodie semblait venir du coin de la rue. J’inspirai une grande bouffée d’air bleu puis, tournai à l’angle de la rue. Une vision théâtrale s’offrit alors à moi. Une multitude d’élèves riant et bavardant s’entassait devant le lycée aux pierres rosées. J’hésitai un instant puis, souriant à mon tour, m’engouffra dans la foule. Ce jour là, j’ai rencontré les personnes avec qui j’allais partager pendant une année ma vie. Ce jour là était bleu, bleu comme les yeux bleu de ma mère.
Je me souviens du second jour. Quand l’air fraichit. Quand les murs deviennent plus sombre. Les gens se cachent, usent de tous les artifices possibles. Je les regarde défiler devant moi. Ils vont affronter la rue, ses dangers. Munis de gants, d’écharpes et de capuches abaissées jusqu’aux yeux, ils se croyant invincibles. Ils sont prêts à conquérir le monde. Laissons-les avec leurs illusions. A cette heure là, les jours sont gris, gris comme les yeux gris de mon père.
Je me souviens du troisième jour. Dans la cour, seule, je suis accoudée à une table. Il n’y a plus de place pour le soleil, plus de place pour le bleu. Les nuages lourds resserrent leur emprise. Non, ils ne cèderont pas. Parfois, une ombre fuyante traverse la cour. Elle ne veut pas être vue. Oh, non, elle ne le veut surtout pas. Je détourne alors la tête et pose mon regard sur l’arbre qui me fait face. Oublié, lui aussi. Noir, lui aussi. Même ses feuilles l’abandonnent. Mortes, elles aussi. Elles se détachent, rompent le pacte convenu il y a de ça sept mois. Elles tourbillonnent, s’échappent au loin. Puis, s’écrasent sur le sol dur. Elles soufrent, elles aussi. Mais, maintenant c’est fini. Il va falloir que l’on attende la renaissance. Est-ce-que cela prendra du temps ? Peut-être. Personne ne sait. A cette minute là, les jours sont noirs, noirs comme mes yeux noirs.
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