"Tu es certain que je dois aller la voir ?
_Mais oui, c'est le bon moment. Dépêches-toi."
Il sortit de l'ombre de l'arbre d'où il l'observait et avança timidement.
Ses mains devenaient moites. Son coeur battait plus vite. Il se voyait déjà en train d'échouer, d'être repoussé. Elle restait immobile, assise sur le banc de pierre, le regard perdu dans le vide.
"Je ne suis pas sûr d'y arriver...
_Allons, regardes la ! Elle est calme, sereine. Ta déclaration va la surprendre : elle n'aura pas le temps de réfléchir avant de te répondre !
_Mais elle mérite tellement mieux ! Ai-je vraiment le droit de la manipuler ainsi ?
_Tu la veux, oui ou non ?!" dit-il énervé.
La question ne se posait même pas : depuis son plus jeune âge il l'admirait, et depuis leur entrée au lycée il n'avait eu de cesse de l'observer.
Il reprit sa progression, marchant d'un pas fébrile mais déterminé.
Il ne lui restait plus que quelques mètres à parcourir. Un faible espoir naquit en lui et grandit à chacun de ses pas. Il savait maintenant qu'il allait réussir, qu'elle allait l'accepter.
Il en était convaincu.
Une grimace se forma sur son visage : sa proie venait de se lever, souriante, et de se jeter dans les bras d'un grand garçon aux cheveux blonds. Son ami, lui, avait l'air abattu, détruit : son espoir s'était brisé à cette image, de même que son coeur et que tout son univers, qu'il avait bâttit autour de cette étoile inaccessible.
"Viens !" lui dit-il brutalement.
Ils entrèrent dans les toilettes du bâtiment le plus proche
et se firent face.
"C'est fini..." pleura-t-il. "Je ne peux plus rien...
_Silence !" cria-t-il. "Je refuse d'abandonner ! Nous avons fait tant d'efforts : elle est à nous, cette fille !"
Puis il reprit calmement :
"Ne t'en fais pas, rien n'est joué. Ce garçon n'est qu'un obstacle de plus, et nous allons le surmonter ensemble. Ta belle te reviendras, crois moi, elle ne sera à personne d'autre."
La journée passa, la nuit tomba.
Ils entrèrent en trombe dans l'appartement. Ils haletaient.
Ils pénétrèrent dans la salle de bain et se tournèrent l'un vers l'autre.
"Tu es un monstre !" s'écria-t-il, une lueur de dégoût et d'affolement dans le regard.
"Qu'est-ce que tu racontes ?" lui répondit-il, une pointe de folie
dans la voix et le regard. "Tu le voulais autant que moi.
Tu l'avais dit : <<elle ne sera qu'à toi.>>
_C'est faux !" cria-t-il. "C'est toi qui l'as dit !
_Mais tu le voulais, non ?!
_Ca suffit !" hurla-t-il comme un dément. "Je ne t'écoute plus ! Je ne veux plus t'entendre, meurtrier !
_Mais c'est toi qui a les mains couvertes de leurs sangs." susurra-t-il d'une voix sadique.
C'était vrai. C'était ses mains qui étaient tachées de sang.
C'était dans ses mains que reposait le canon encore chaud de l'arme mortelle.
"N'oublies pas," reprit-il d'une voix fière et moqueuse, "nous sommes liés. Depuis le début nous sommes ensemble et à jamais nous le resterons.
_Non..." répondit-il à son eternel compagnon. "Je ne veux plus de toi. Je veux que tu t'en ailles.
_Et comment comptes-tu t'y prendre ?" demanda-t-il d'un air de démence et d'amusement, écartant les bras dans un geste de défi.
L'autre, l'air sombre, ferma les yeux, baissa la tête et ramena ses bras le long de son corps. Puis, il le regarda, les yeux emplis de colère,
de rage, de haine, et baignés de larmes.
Il posa son doigt sur la détente et monta lentement l'arme
vers sa tempe.
"Mais qu'est-ce qu..." fit l'autre, effrayé et affolé. "Arrête ! Qu'est-ce que tu comptes faire ?"
Symétriquement à son interlocuteur, il monta son arme vers sa tête.
"Ce que je compte faire," répondit l'autre d'une voix calme et déterminée, "c'est ce que j'aurais dû faire depuis le tout début..."
Il pressa un peu plus l'arme contre sa peau.
"...je vais me débarasser de toi..."
Il pressa la détente. Une détonation retentit et amena la nuit éternelle sur les deux êtres qui, jusqu'alors, avaient tout partager :
le même passé, la même vie, le même corps. |