" Ma chérie, il va falloir que je parte... On m'a appelé... "
" Non... Non ! Tu ne peux pas ! Ils ne peuvent pas te forcer à partir ! Notre enfant va bientôt naître, il lui faut un père ! "
La femme aux cheveux noirs pleurait. Elle savait que s'il partait, elle ne le reverrait plus. Elle se jeta contre lui, faisant de ses bras un cercle infranchissable autour du torse de l'homme à courte barbe brune.
" Allons, soit raisonnable. Si je n'y vais pas, vous serez en danger toi et le bébé. "
" Mais si tu restais, tu pourrais nous protéger ! "
" Ne soit pas bornée, Maria ! "
La dénommée cessa de pleurer, mais ne relâcha pas son étreinte. Son mari l'enlaça.
" Pardon... je ne voulais pas crier, pardon. "
Non, il avait raison, elle le savait. Elle ne devait pas l'empêcher de partir, mais elle ne voulait pas qu'il lui arrive malheur. C'était d'accord, elle le laisserait partir, même si elle devait en mourir de chagrin.
" Je ne dois partir que dans deux semaines, le temps qu'ils viennent jusqu'ici. Il le faut Maria, tu entends ? Pour la vérité, il faut que tu me laisses partir. "
Le ton de son homme était doux et triste, presque suppliant.
Elle n'eut la force que de murmurer :
" C'est d'accord... Pour la vérité... "
Les jours passèrent, remplis de joie, de peine, de moments tendres, d'amers instants de solitudes. Maria apprit tout ce que devait faire son mari afin de pouvoir transmettre sa tâche à l'enfant qui allait bientôt venir au monde. Elle apprit et nota dans un cahier à couverture violette tout ce que son époux lui dit, lui montra, afin que ses futures leçons soient le plus fidèles possibles à ses paroles.
Et puis, ce serait comme si une part de son homme resterait à ses côtés à jamais.
La veille du soir fatidique, après de longues et éreintantes heures de travail, leur bébé naquît sous leur toit. Comme tous les parents, ils trouvèrent leur descendance magnifique et l'aimèrent aussitôt. Cependant, le nouveau père ne pouvait s'empêcher de se sentir amer : cet enfant aux yeux si pétillants, si pleins de vie venait à peine de voir le jour que déjà son destin l'emmenait vers une existence douloureuse et solitaire. Et tout ça, c'était sa faute à lui.
Quelqu'un frappa à la porte. Maria sursauta, réveillant le nourrisson qu'elle berçait tendrement. Son mari alla ouvrir : un homme casqué se tenait sur le pas de la porte. Derrière lui se dessinait, sous la faible lueur des étoiles, les contours d'un fourgon sombre.
" Monsieur, " dit l'inconnu d'une voix solennelle, " il est temps. Veuillez me suivre. "
" Non ! " cria Maria en venant s'accrocher au bras de son époux.
" Maria, nous en avons déjà parlé. Il n'y a pas d'autre option. "
L'enfant se mit à pleurer, faisant se sentir l'homme coupable. Son père caressa son visage potelé, ses pleurs cessèrent aussitôt.
" Cet enfant, " dit-il, " c'est aussi une part de moi. Chéris-le, Maria, comme tu m'aurais chéri moi, car il est mon successeur. "
Il embrassa une toute dernière fois sa femme, tourna les talons et suivit l'inconnu.
" Attends ! " cria Maria, " Attends ! S'il te plait, donnes lui un nom. Pour l'amour de moi ! "
Le père se retourna et regarda une ultime fois sa famille, son foyer, tout ce qu'il allait perdre à tout jamais. Puis, plongeant son regard dans les yeux brillants de son enfant, il dit :
" Si tu l'acceptes, il s'appellera... " |