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Geneworld.net>Fan-fictions>Z-shadewolf>Une vie de mensonges.

06 - RETOUR ; UN SECRET GÊNANT ? PAR Z-SHADEWOLF

Où était-il ? La première semaine du premier mois venait de s'achever et elle n'avait toujours aucune nouvelle. Elle était inquiète, elle sentait bizarrement qu'il lui était arrivé quelque chose, et le fait que sa ligne téléphonique sonne constamment occupée ne la rassurait pas quant à son pressentiment.
Emmitouflée dans un gros manteau marron, bravant la neige et le froid, elle avançait vers la maison de Lubio. Elle avait fait un rêve étrange la nuit précédente : un rêve où son ami était revenu sans être là, un rêve où Lubio ne la voyait pas, un rêve où un mur de verre infranchissable les séparait.
Elle leva la tête vers la demeure : les volets étaient ouverts, mais il n'y avait aucun signe de vie dans la grande maison. Du moins, vu de loin...
Erine reprit espoir : des aboiements venaient de déchirer le voile du silence glacé. Ca y est ! Il était rentré !
La jeune fille se mit à courir, faisant crisser la neige immaculée sous ses bottes sombres. Elle reporta son attention sur la maison : une silhouette se dessina à la fenêtre de gauche du premier étage.
La jeune fille longea le mur, tourna à droite et fut projetée à terre par cinq grosses bêtes à fourrure qui jappaient joyeusement. Les chiens couleur feu lui léchèrent frénétiquement les mains et le visage, elle tenta de les repousser en riant : elle était si heureuse qu'ils soient là, car s'ils étaient là, cela signifiait que Lubio n'était pas loin.
Une fois debout, elle entra dans la propriété, escortée par les canidés qui battaient l'air de leurs queues touffues.
La cour était vide. Elle trouva étrange que Lubio ne soit pas venu à sa rencontre, mais elle était trop contente de son retour pour songer à quoi que ce soit d'autre qu'au visage qu'elle allait bientôt retrouver.
Erine sonna à la porte et attendit, prête à se jeter au cou de son amoureux. Mais lorsque la porte s'ouvrit, elle eut un mouvement de recul : la personne qui se tenait sur le palier n'était pas Lubio. C'était une femme d'une trentaine d'années, aux traits fins, aux yeux bruns et aux longs cheveux blonds et bouclés. Elle portait une tenue unie, d'un blanc aussi aveuglant que celui de la neige, et affichait un air calme et impassible.
La jeune fille se sentait troublée : d'une part, la beauté de cette femme l'éblouissait, mais elle la faisait se sentir mal à l'aise, presque menacée par sa seule existence.

" Euh... bonjour. " dit-elle d'une voix mal assurée, " Lubio est là ? "

L'inconnue la toisa du regard et demanda :

" Vous êtes ? "

Erine n'en crut pas ses oreilles : cette femme ne la connaissait pas. Elle devait venir de très loin...

" Je m'appelle Erine Ratch. Je peux voir Lubio ? "

La femme plissa des paupières et l'interrogea d'une voix neutre :

" Qu'êtes-vous pour Lubio ? "

" Je... Je suis... " répondit la jeune fille en rougissant, " je suis sa petite amie. "

" Dans ce cas, il est hors de question que vous l'approchiez. "

La fille pâlit. Qui était cette étrangère pour se permettre de lui interdire de voir Lubio ? Et d'abord, pourquoi était-elle là ?

" Pourquoi ne voulez-vous pas me laisser le voir ? " se reprit Erine d'une voix résolue, " Laissez-moi passer. "

" Non. "

" Je vous ordonne de me laisser passer ! Lubio, tu es là !? Qu'est-ce que vous lui avez fait ?! "

Elle empoigna la robe de la femme mais celle-ci, d'un geste vif et précis, lui attrapa les poignets et les lui tordit dans le dos. Erine se débattit. A chacun de ses gestes, elle avait plus mal, mais il était pour elle hors de question d'abandonner celui qu'elle aimait.
Un murmure mis fin à leur combat :

" Erine... "

Les deux femmes se retournèrent dans un même geste vers l'intérieur de la bâtisse. Lubio était là, se tenant à la porte, les jambes tremblantes. Son teint était pâle comme la mort. La jeune fille abaissa son regard sur son tronc nu : un large bandage s'enroulait autour de son ventre, et un autre descendait de son épaule gauche jusqu'à son coude.

" Lubio ! "

Erine bouscula la trentenaire et se précipita à l'intérieur.

" Lubio, que s'est-il passé !? Tu as mal !? "demanda-t-elle en le soutenant par le bras droit.

" Ne t'en fais pas, ce n'est rien... "

Le garçon eut un spasme violent et du sang gicla de sa bouche. Erine porta ses mains à son visage, horrifiée.
La femme se précipita vers Lubio, essuya le liquide rouge avec un linge blanc, et dit avec colère :

" Je t'ai dit de rester allongé ! Tu veux guérir, oui ou non !? "

" Je... vais bien... " répondit le garçon d'une voix faible.

" C'est moi le soigneur ici ! Obéis ! "

Tout en le disputant, l'infirmière le ramena à un lit installé dans un coin de la pièce et le força à s'allonger. Puis elle revint vers Erine qui s'était rapprochée du blessé et, la tirant par le bras, la raccompagna de force à la porte.

" Attendez ! " s'affola la jeune fille, " Attendez, Lubio... "

" Il lui faut du calme. " répondit précipitamment la femme, " Partez. Il vous appellera quand il sera guéri. "

Elle la poussa dehors sans cérémonie et referma la porte.

" Att... Attendez ! " s'écria Erine en bloquant le panneau avec son pied, " Je veux vous aider ! "

La femme se figea et réfléchit. Après quelques secondes d'hésitation, elle désigna quelque chose derrière Erine d'un mouvement de tête et dit avant de claquer la porte en bois :

" Occupez-vous d'elles. "

La jeune fille se retourna : les cinq chiennes de Lubio - qu'elle avait tout d'abord pris pour des mâles - étaient assises dans la neige blanche, les oreilles couchées, la tête basse. Elles restaient toutes immobiles, silencieuses, comme gagnées par le même sentiment d'impuissance, par le même désespoir qui avait envahi le coeur d'Erine et qui la faisait pleurer.


Deux semaines déjà s'étaient écoulées depuis qu'Erine avait ramené les chiennes chez elle et les avait cachées dans l'un des box désaffectés de l'écurie du manoir - le palefrenier comptait heureusement parmis les domestiques avec lesquels la jeune fille avait de forts liens d'amitié -. Depuis deux semaines, elle restait enfermée dans sa chambre, ne sortant que pour nourrir les bêtes en cachette et les laisser gambader quelques minutes dans la poudre blanche. Elles couraient dans tous les sens, flairaient les endroits nouveaux pour elles, se bagarraient dans la neige, mais Erine sentait bien qu'elles songeaient toujours un peu à leur maître et à son état inquiétant.
Non... Ce n'étaient que des animaux, elles ne pouvaient pas comprendre de telles choses... C'était elle qui était inquiète et qui voyait tout tourner autour de l'état de son amoureux.
La jeune fille était allongée sur son lit, le bras ballant dans le vide, l'esprit et le corps vidés de toute volonté. Elle aurait souhaité ne plus jamais connaître cette sensation intense qu'elle éprouvait si souvent avant de rencontrer Lubio à nouveau. Cette sensation si profonde d'isolement affectif, de solitude éternelle. Cette sensation qui se manifeste par des crises d'angoisses, surgissant et repartant dans un va-et-vient semblable au flux et au reflux incessant des vagues sur le sable. Cette sensation qui vous donne l'impression que vos os sont traversés par un vent pénétrant, froid et électrique, à chacune de vos expirations. Cette sensation qui vous déchire la poitrine de l'intérieur, qui vous donne la nausée, qui vous ankylose. Cette sensation qui vous fait monter les larmes aux yeux sans les laisser couler et qui vous picote le crâne par-dedans à vous en empêcher de réfléchir. Cette sensation durant laquelle vous sentez vos jointures s'enflammer, votre estomac se nouer, votre trachée se serrer, et dont la souffrance est si insupportable qu'elle vous rend fou de désespoir et vous ôte toute envie de lutter et de survivre une minute de plus. Cette sensation si cruelle qui vous vide de vos forces et qui vous fait vous sentir de plus en plus fatigué à mesure que vous vous reposez.
Le téléphone qu'elle avait dans la main sonna une fois, deux fois, mais la jeune fille ne décrocha pas : elle n'avait même plus assez d'énergie ni de volonté pour prendre l'appel. Toutefois, une pensée lui donna un peu d'espoir et de chaleur au coeur : et si c'était Lubio ?
Rassemblant les ultimes forces qu'avait réveillées en elle ce songe, elle appuya sur le bouton vert et attira péniblement l'écouteur à son oreille. Elle réussit - au prix d'un effort surhumain - à arracher à sa gorge un son inarticulé, un murmure incompréhensible, afin de faire savoir à son interlocuteur qu'elle était prête à écouter.

" ... Erine... ? "

Cette voix qui souffla à peine son prénom l'emplit d'une joie immense et douloureuse, une joie qu'elle n'avait pas ressentie depuis presque un mois. Elle voulut émette un nouveau son, mais elle n'en avait plus la force. Elle ne pouvait plus qu'écouter, les yeux larmoyant de bonheur à l'idée que son amant allait mieux.

" Sophie - je veux dire l'infirmière - vient de partir. Je vais bien, mais je ne peux pas encore beaucoup me déplacer. Tu peux venir ? "

Face au silence de son amie, le garçon poursuivit :

" Tu dois être à bout de nerfs pour ne plus pouvoir - ou ne pas vouloir - me répondre. Je suis désolé de t'avoir fait endurer tout ça... "

" Non Lubio ! " cria intérieurement la jeune fille, ne pouvant s'exprimer, " Je ne t'en veux pas ! Je ne peux plus parler ! "

Elle sentait l'énergie revenir peu à peu en elle, comme apportée par la présence factice du garçon, mais elle n'était pas encore assez forte pour parler.

" Si tu ne peux pas me répondre, ne t'en fais pas : je connais moi aussi ces moments ou la solitude nous entrave. Mais si tu ne dis rien parce que tu m'en veux... Je t'en supplie, pardonne-moi...
Quoi qu'il en soit, Erine, je ne cesse de regretter ta voix... ta présence... ton odeur... Par pitié, lorsque tu seras prête à me pardonner, viens me voir... "

Et il raccrocha.
Erine écouta longuement résonner la tonalité froide et impersonnelle de l'appareil. Elle aurait tellement voulu qu'il le lui dise, qu'il le lui murmure, juste avant de terminer la communication. Qu'il lui souffle simplement à l'oreille ce « je t'aime » qui lui avait tant manqué durant les siècles qui s'étaient écoulés depuis son départ, trois mois plus tôt. Mais elle était déjà heureuse : heureuse de savoir qu'il allait mieux, heureuse de savoir qu'il tenait à elle, et cela lui suffisait.
Puis, tandis qu'elle songeait à tout ce qu'elle devait lui dire, ses paupières se fermèrent d'elles-mêmes et la jeune fille put enfin, pour la première fois depuis des jours et des jours, dormir d'un sommeil paisible et réparateur.

Lubio somnolait, paisiblement allongé sur un des canapés du salon, lorsqu'un léger grincement l'éveilla. Il eut à peine le temps d'ouvrir les yeux et de basculer en position assise qu'un torrent de poils chauds et de langues rugueuses le submergea. Les oreilles basses et la queue battant l'air, ses cinq chiennes s'étaient ruées sur lui dès qu'Erine avait entrouvert la porte et le reniflaient maintenant en le léchant frénétiquement.
Le garçon riait de bonheur. Ses compagnons canins et les chatouilles de leurs museaux contre lui lui avaient tant manqués. Mais autre chose lui avait manqué plus encore durant ces quelques mois.
Il caressa la tête de ses bêtes, les poussa pour se libérer de la vague et put accueillir enfin le corps d'Erine entre ses bras.

Assise sur l'un des fauteuils vermeils, la jeune fille regardait l'écran du téléviseur d'un oeil morne, zappant de chaine en chaine pour tromper son ennui. Elle attendait Lubio qui était parti se laver, honteux de son odeur et de la saleté de ses cheveux. Erine lui avait pourtant dit que, même si sa crasse était un peu gênante, elle comprenait que ses blessures l'avaient empêché de se doucher, mais rien n'y faisait : Lubio voulait absolument être propre, et pour ne pas l'indisposer, et pour éviter de la salir lorsqu'il l'étreindrait contre son coeur.
La jeune fille arriva à la quatorzième chaine. C'était l'heure des informations de l'après-midi. Elle se dit que, quitte à regarder quelque chose pour patienter, autant que ce soit instructif. Elle écouta donc d'une oreille distraite les commentaires de la présentatrice :

"... notre Présidente au Sénégal. La visite officielle devrait se prolonger jusqu'à Guanin prochain.
Une note plus joyeuse à présent, et notamment pour les habitants de la Plaine d'Emeraude : le cirque forain Ziténion devrait arriver et s'établir comme prévu au cours de la prochaine semaine. De nombreux habitants de toute la région s'apprêtent déjà à se rendre au spectacle. Tous se souviennent encore de la performance de l'année dernière et sont impatients de regagner les bancs du chapiteau.
Enfin, faits divers : les importantes explosions ayant ébranlé le Nord-est de la Sibérie semblent - d'après la commission d'enquête scientifique déléguée sur place - avoir été causées par une érosion naturelle des sous-sols. D'après les relevés, d'immenses poches de gaz souterraines auraient violemment explosé suite à une percussion de silex causée par érosion. Le souffle des explosions - ayant balayé la neige sur plus de vingt kilomètres à la ronde - n'a aux dernières nouvelles fait aucune victime mais laissera tout de même de profonds cratères d'environ... "

L'écran de la télévision s'éteignit de lui-même. Erine tourna la tête, cherchant la télécommande, et sursauta : Lubio était debout à côté d'elle, boitier en main - elle ne l'avait même pas senti le lui prendre - et la regardait, amusé.

" Lubio ! " s'écria la jeune fille, la main sur le coeur, " Arrête de me faire peur comme ça. J'ai failli avoir une attaque ! "

Le garçon rit franchement et lança la télécommande sur l'un des deux fauteuils de libre.

" Allez, viens. " dit-il en s'approchant de la porte-fenêtre, " On va chez toi. "

" Mais, Lubio... Je croyais que tu ne pouvais pas te déplacer ? "

" Ne t'en fais pas, ça ira : tu seras avec moi. Et puis, je dois récupérer mon courrier. "


" C'est tout ? Il n'y a rien d'autre ? "

" Non. Tout est là. "

Assis sur le lit de la jeune fille, Lubio sortit d'une grande enveloppe marron - dans laquelle Erine avait rassemblé sa correspondance durant son absence - une dizaine de liasses de billets bleus et commença à compter l'argent. Il n'avait pas l'air surpris de n'avoir reçu aucune lettre d'aucune sorte...

" Lubio, je peux te poser une question ? "

" Mmh... " fit-il, absorbé par sa tâche.

" Qu'est-ce que c'est que cet argent ? "

Le garçon soupira : il avait perdu le compte.
Il regarda son amie et dit :

" Tu sais, Erine, que je vis seul. Il faut bien manger, entretenir la maison, nourrir les chiens... Cet argent, c'est mon salaire. "

" Ton salaire ? Mais tu ne travailles même pas. "

" Même si je n'en ai pas l'air, Erine, je travaille à chaque minute, à chaque seconde de ma vie. Même maintenant, je travaille. "

" Tu te moques de moi : le boulanger travaille, le jardinier travaille; toi tu... tu... tu fais quoi ? "

Lubio sourit.

" C'est vrai, je n'ai peut-être pas utilisé le bon terme... Ce n'est pas réellement un « travail », plus un service que je rends en échange de quoi vivre. "

" Et ce service, c'est quoi ? "

Lubio se tut, visiblement partagé. Erine insista du regard et finalement, il ouvrit la bouche.

" Je suis désolé, Erine, mais je te l'ai déjà dit : je ne veux pas que tu l'apprennes. Je ne veux pas te perdre. "

" Est-ce donc si terrible pour que tu penses que je te laisserais tombé pour ça ? "

Il ne répondit pas, baissant la tête vers le sol.
La jeune fille réfléchit un instant. Elle voulait en savoir plus. Rien qu'un peu lui suffirait, mais elle le voulait au plus profond d'elle.

" C'est... à cause de ton « travail » que les gens te rejettent ? "

Le garçon acquiesça.

" C'est aussi pour ça que tout le monde pense que ce n'est pas bon que nous soyons amis ? "

" Oui. " répondit-il en hochant de nouveau la tête.

" Et... c'est aussi à cause de ça que tu as été blessé ? "

" Non. Ca, c'était... une affaire personnelle. Peut-on arrêter de parler de ça, s'il te plait ? "

Erine se tut. Ce n'était pas grand chose, mais elle savait maintenant certaines choses qu'elle ignorait auparavant.
Lubio reporta son attention sur les billets bleus et reprit son effeuillage sous le regard d'Erine. Lorsque, cinq minutes plus tard, il compta le dernier papier, il les jeta sur la couette mauve avec un grognement de désapprobation.

" Qu'y a-t-il ? " demanda sa compagne, " Il en manque ? "

" Non. Je suis juste agacé : c'est ça que je vaux pour eux. " dit-il en désignant le petit tas de liasses, " Juste ça, pour deux mois de ma vie et de celles de mes chiennes. "

Erine détourna le regard et dit d'un ton de reproches :

" Si tu ne veux plus que je te demande ce qu'est ton travail, tu devrais arrêter de me parler de choses qui ont un rapport avec. "

" Je sais. " soupira-t-il en se prenant le visage à deux mains, " Excuse-moi. "

Il y eut un instant de silence puis la jeune fille annonça :

" Au fait... le cirque forain Ziténion va arriver la semaine prochaine. Ca te dirait qu'on y aille ? "

" Ouais. " fit-il allongé sur le dos, les mains toujours plaquées sur ses yeux dans une posture d'extrême fatigue, " Ca me changera les idées. "

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