" Waaw ! Tu as vu comme c'est beau ? On voit même la pointe des gratte-ciels de la ville ! "
" E... E... Erine, arrête ! Tu fais tanguer la cabine ! J'ai mal au coeur... "
La grande roue s'était arrêtée et la cabine d'Erine et de Lubio se trouvait presque tout en haut de la structure. La vision de la plaine engloutie par la nuit étoilée était splendide, plus encore que les îlots de lumière que la jeune fille apercevait lorsqu'enfant elle montait sur le toit du manoir et regardait en direction des villages.
Son amoureux, lui, ne put en profiter : il venait de découvrir qu'il souffrait de vertige et, aussi curieux que cela puisse paraître en plein ciel, de mal de mer.
" Par pitié, Erine... " dit-il à semi-allongé sur la banquette, respirant profondément, " Assis-toi... calme-toi... je me sens mal... "
Son amie s'exécuta. Elle se disait que s'il se montrait si mal en point - alors qu'il souriait même lorsqu'il était blessé - cela devait être important.
Une fois la cabine redescendue et ouverte par l'homme en charge de la roue, Lubio sortit à quatre pattes de la nacelle et resta là, les mains dans l'herbe nouvelle, à reprendre son souffle et ses esprits.
" Alors jeunot, " rit le forain en se penchant vers lui tandis qu'Erine sortait à son tour de l'habitacle, " on a l'coeur fragile ? Tu d'vrais rester sur l'plancher des vaches à l'av'nir ! "
Le garçon ne dit rien, continuant d'haleter. Erine lui attrapa le bras puis, après avoir adressé un sourire d'excuse à l'homme, aida son amant à se relever et l'emmena loin du manège. Sur tout le chemin qui les séparait d'un petit banc en bois, tout le monde se retournait vers Lubio : les enfants le regard curieux, les adultes l'air narquois ou agacé. C'était comme si - pensa la jeune fille - il n'avait pas le droit de s'amuser ou de se montrer faible.
" Je suis désolé d'avoir gâché ton tour de manège. " s'excusa le garçon après quelques minutes de repos, " Si tu veux y retourner... "
Ca ira. " le coupa sa compagne, " Mais pourquoi ne m'as-tu rien dis au sujet de ton vertige ? "
" Ben... " répondit Lubio en baissant la tête d'un air pitoyable, " à dire vrai, c'est la première fois que je monte dans ce manège... C'est pour ça que, si tu veux y retourner... "
" Ca va, je te dis. J'en avais assez de toute façon. J'ai plutôt envie de manger une barbe à papa. "
" C'est bon ? " demanda Lubio.
" Si c'... Quoi !? " fit Erine stupéfaite, " Tu n'en as jamais mangé ? "
" ... En fait, c'est la première fois que je viens dans une fête foraine... "
La jeune fille n'en croyait pas ses oreilles. La première fois ?
Elle lui prit la main et lui dit en se levant :
" Viens. "
Ils se dirigèrent vers le marchand de barbe à papa le plus proche et la jeune fille en acheta une de taille moyenne.
" Tu aimes ? " questionna-t-elle son ami tandis que chacun prélevait un petit morceau de la douceur cotonneuse.
" C'est... vraiment très sucré. " répondit le garçon en léchant le nuage rose qu'il avait enroulé autour de son doigt, " Et ça fait mal au dents quand on mâche. "
" C'est parce que tu ne la manges pas comme il faut ! Regarde : " dit-elle amusée en joignant le geste à la parole, " tu prends un petit bout, tu le mets sur la langue et tu le laisses fondre. "
Lubio guettait chacun de ses mouvements gracieux et envoutants. Son regard s'attarda sur la bouche de la jeune fille : il aurait tant voulu l'embrasser et goûter ces lèvres rosées par la sucrerie. Mais il ne pouvait pas : le faire devant tous ces villageois, c’aurait été compromettre son amie.
Il se contenta donc de l'imiter et dit piteusement :
" Ne pas savoir comment manger ça... Tu dois me trouver idiot... "
" Oui, c'est vrai... " railla Erine.
" Hééé ! T'es pas gentille ! "
La jeune fille lui caressa la tête, comme pour s'excuser, et enchaîna :
" Le chapiteau est ouvert, le spectacle va bientôt commencer. "
Ils se dirigèrent vers l'entrée de l'édifice de toile, choisirent une place dans un coin sombre du gradin le plus haut - afin que, ne les voyant pas, les villageois ne puissent leur gâcher leur amusement en les épiant constamment - et finirent de grignoter leur barbe à papa en attendant le début de la représentation.
" Mesdames et messieurs, habitants de la Plaine d'Emeraude et de la région alentour, bienvenue au chapiteau Ziténion ! Nombre d'entre vous étaient déjà présents au spectacle grandiose de l'an passé, d'autres encore assistent pour la première fois au fabuleux cirque Ziténion, et à tous je vous adresse, au nom de ma troupe et de moi-même, nos plus sincères remerciements !
Oui mesdames et messieurs, chaque année pour célébrer nos retrouvailles, nous mettons au point des divertissements amusants, surprenants, angoissants, et cette année ne dérogera pas à la règle ! "
" Hé bien c'est raté : " murmura Lubio à l'oreille de son amoureuse, " je commence à m'ennuyer. "
" Chut. Soit patient. " répondit-elle sur le même ton, à deux doigts de rire en voyant la mou que lui faisait son compagnon.
" ...ssé ne s'inquiètent pas : rien que pour vous, nos dresseurs ont bravé mille-et-une mort pour réussir à faire ce que nul autre au monde n'a pu accomplir ! Vous vous demandez sans doute ce dont il s'agit, ce qu'est cet exploit qui effacera à jamais toute autre spectacle de votre esprit. Mais, comme les meilleures choses sont souvent les plus difficiles à préparer, il vous faudra vous montrer patients. Et afin de... "
" C'est marrant : " dit le garçon à voix basse, " on dirait qu'on vient au cirque pour apprendre à être patient. "
" Chut. " souffla Erine en réprimant tant bien que mal ses rires - Lubio l'embêtait en lui chatouillant les côtes -, " Arrête. Arrête, on va se faire remarquer. "
" Par qui ? Tout le monde dort. Il est soporifique ce type... " continua-t-il à murmurer, " et puis, son manteau à paillettes est grotesque. "
" Ca suffit, Lubio ! " dit la jeune fille en repoussant les mains de son ami, " Regarde, il part. Ca va commencer. "
" Et toi qui te plaignait de t'ennuyer... " la taquina-t-il.
La foule sortait lentement du chapiteau sans que personne ne dise mot. Les enfants étaient collés à leur mère, les adultes affichaient un air livide ou choqué.
Lubio, lui, semblait estomaqué.
" Comment... ont-ils pu...? " souffla-t-il.
" C'est vrai... " répondit Erine sur le même ton, " Les jongleurs, les clowns, les funambules, c'était magnifique; ça, c'est incroyable... "
Ils quittèrent la fête foraine côte-à-côte. Ils n'avaient pas encore sommeil mais, après ce spectacle, ni lui ni elle n'avait encore le coeur à s'amuser ou à discuter. Ils se séparèrent donc en silence en arrivant près de Centos et chacun rentra de son côté.
Sur le chemin la ramenant au manoir, la jeune fille essaya de réfléchir à toutes les questions qui lui venaient à l'esprit. Mais l'image de ces deux fauves, si proches d'elle, continuait de la hanter et de la faire frémir.
Des loups. Des sales loups. Comment les forains avaient-ils réussi à dompter ces tueurs sanguinaires, ces démons cruels ?
Et surtout, où et comment les avaient-ils obtenus ? Ne savaient-ils pas que toute Bête devait être signalée aux forces armées ? Ne savaient-ils pas que, par ce numéro, ils risquaient la vie de tous les spectateurs en plus de la leur ? Tout ça pour être le meilleur cirque itinérant du pays, quelle irresponsabilité !
Un autre mystère se joignit à sa pensée et effaça toutes ses autres interrogations : durant cet effrayant spectacle, elle s'était retournée plusieurs fois vers son compagnon. Et chaque fois, celui-ci faisait signe de la tête à quelqu'un : une fois il hochait la tête en regardant une jeune femme brune portant un long manteau vert et une casquette assortie - dont la visière tombait sur son oeil droit et lui donnait un air mystérieux -; une autre fois il avisait un homme d'une quarantaine d'années aux cheveux blonds - dont la coupe était étrangement similaire à celle de Lubio - et qui opinait de la tête d'un air furieux et dégoûté.
Erine avait assisté à une demi-douzaine d'autres dialogues muets semblables durant le numéro des fauves et le discours de clôture du spectacle, et ce fut en se demandant qui étaient ces mystérieuses personnes qu'elle finit, allongée sur sa couette dans une chemise de nuit rose, par tomber de sommeil.
" Et donc, c'est grâce à ce comte que ton père est absent ? "
" Oui, " répondit Erine, assise dans l'un des fauteuils à coussins verts qui emplissaient un coin de la bibliothèque du manoir, " que veux-tu : lorsqu'un haut dignitaire se déplace personnellement pour convier mon père à une réunion, même si son titre est inférieur à celui de Marquis, mon père ne peut se permettre de refuser de le suivre car alors il risquerait de perdre un allié potentiellement puissant et ce serait une voix de moins dans... Hé Lubio, tu m'écoutes ? "
" Mmh ? " fit le concerné en émergeant de derrière les piles de livres posées sur la moquette de velours rouge, " Tu m'as parlé ? "
La jeune fille, agacée, s'enfonça dans le dossier moelleux en grommelant et son ami se replongea dans sa lecture.
Ils avaient déjà passé toute la matinée dans la bibliothèque, lui à lire, elle à s'occuper tant bien que mal pour tromper son ennui, et Lubio ne semblait nullement enclin à cesser sa lecture intensive. Cela ne faisait que quatre heures qu'Erine, après lui avoir fait visiter le manoir en secret - elle avait donné congé à tous les domestiques pour la journée -, l'avait introduit dans cette pièce immense et déjà une quarantaine de gros livre épais s'éparpillaient autour du garçon, allongé à même le sol, qui feuilletait frénétiquement les ouvrages. Et depuis quatre heures, en bonne maîtresse de maison, elle attendait patiemment que son invité montre des signes de lassitude pour lui proposer de passer à autre chose. Seulement, elle commençait à penser que Lubio - si rien ne l'y obligeait - continuerait de lire jusqu'à avoir passé en revue chaque page de chacun des quelques centaines de livres que comptait la pièce.
" Ce qu'il peut être égoïste, parfois... " songea avec amertume la jeune fille, " Il ne pense même pas à moi...
Et heureusement qu'il ne lit pas les livres en entier : on y aurait passé des jours ! "
La grande pendule ancienne sonna dix-sept coups, réveillant Erine qui avait fini par s'assoupir. Elle se redressa, se frotta les yeux, et eut un sursaut de surprise : devant elle s'élevait une dizaine de tours de reliures en cuir, toutes plus hautes qu'elle, et qui vacillaient dangereusement. Elle se leva, contourna ces édifices de papier et découvrit Lubio, étalé de tout son long, dormant le nez dans un livre. Il avait l'air heureux et paisible, il souriait pendant son sommeil.
La jeune fille fut attendrie par cette image. Il ressemblait à un enfant : jeune, innocent, plein d'espoir et de joie. Elle n'eut pas le coeur de le réveiller, de le troubler en plein bonheur. Erine se retourna et eut une nouvelle surprise : les rayons de la bibliothèque étaient parsemés d'énormes trous, défigurant ce mur qui le matin même était encore décoré d'une magnifique tapisserie d'ouvrages.
" Lubio... " soupira-t-elle pour elle-même avec exaspération, " Tu abuses toujours des bonnes choses... "
Elle revint vers le garçon et retira doucement le livre sur lequel il était endormi. Quitte à ranger, autant commencer par celui-ci. Un élan de curiosité la poussa à en lire quelques lignes mais le sujet ne l'intéressait pas. Elle releva le bas de sa robe bleu ciel et entreprit de gravir l'échelle coulissante du meuble.
" « L'Homme : douze siècles d'histoire »... " pensa-t-elle en replaçant l'ouvrage dans sa rangée, " Tu as vraiment des goûts bizarres, Lubio... "
" ... nouvelle île artificielle sur le pont transcontinental Swanivitch. Invitée à l'inauguration du palais, notre Présidente a déclaré... "
" Tu me passes un bout de canard, s'il-te-plait ? "
" Chut ! " fit la jeune fille, " Ce sont des informations importantes. "
" Importantes !? " railla Lubio, " En quoi les dires d'une personne qui visite un palace à des milliers de kilomètres d'ici sont importants ? "
" Chuut ! " le blâma Erine d'un air sévère.
Il était un peu plus de dix-neuf heures et ils dinaient tous les deux en tête-à-tête, attablés dans la cuisine du manoir. Elle avait allumé la radio pour écouter le journal du soir. Mais était-ce seulement pour ça ?
Non, elle le savait bien. Ce qu'elle voulait, c'était gagner du temps. Ce qu'elle voulait, c'était repousser le plus longtemps possible l'échéance, retarder au maximum ce moment où elle devrait lui parler de ce mal qui la rongeait depuis trois jours maintenant. Mais comment faire ? Ne pas en parler la détruisait peu à peu de l'intérieur, mais aborder ce sujet si grave... Rien que d'y penser la faisait mourir de chagrin.
" ... de l'Amérique centrale. Au bilan : une demi-douzaine de villes ravagées par les inondations. Le ministre des terres de l'Ouest a proposé une aide de... "
Mais pourquoi se sentait-elle ainsi ? Elle n'était coupable de rien ! C'était à lui de s'expliquer, pas à elle ! C'était d'ailleurs pour ça qu'elle l'avait fait venir.
" Erine ? " l'appela Lubio, la tirant de ses pensées, " Ca va ? "
" Ou... Oui... " acquiesça-t-elle sans conviction.
Le garçon reporta son attention sur son assiette déjà à moitié vide; son amie se concentra sur la voix féminine qui sortait de l'appareil brun clair.
" ... alerte de la moitié Nord-est du pays. Les deux démons bestiaux n'ont toujours pas été retrouvés. La commission d'enquête suppose que les Bêtes - qui étaient traitées au sérum inhibiteur d'agressivité par le directeur du cirque Ziténion lui-même - auraient un soir été mal enfermées. L'homme est actuellement jugé pour son comportement irresponsable qui a mis en péril la vie de ses semblables. Quant aux dangereux animaux, le responsable des recherches estime qu'... "
*CLIC*
" Lubio ! " dit Erine d'un ton de reproches, " C'est un sujet important ! Pourquoi as-tu éteins !? "
Le garçon aux cheveux noirs la regarda droit dans les yeux. Il avait le teint légèrement pâle et l'air triste.
" Erine... dis-moi ce qui ne va pas... "
Le sang de la jeune fille se figea dans ses veines.
" Mais... tout va bien, je t'assure... "
Le garçon lui prit les mains et les serra entre les siennes.
" Tu sembles soucieuse, tu ne manges rien, tu ne souris pas... Quelque chose te tracasse, je le sais. Tu ne veux vraiment pas m'en parler ? "
Erine resta silencieuse un bon moment. Elle se sentait déchirée par le choix douloureux devant lequel elle se trouvait. Elle sentait son coeur vaciller entre son amour et cet autre sentiment, ce sentiment si triste qui l’envahissait parce qu’elle voulait réparer l’injustice qui lui avait été faite, mais que cela ne pouvait se faire sans blesser Lubio.
Après un débat intérieur aussi long qu'éprouvant, elle finit par choisir : bien sûr, jamais elle n'aurait voulu faire du mal à son ami, mais elle n'avait pas le choix. Si elle ne lui en parlait pas maintenant, plus jamais elle ne pourrait aller chez lui sans se souvenir de ce qu'elle y avait vu... Plus jamais elle ne pourrait l'embrasser sans repenser à cette scène...
" Viens avec moi. " dit-elle à Lubio en se levant.
Erine marchait avec nervosité, traversant sa chambre de long en large; son ami restait immobile, assis sur le lit de la jeune fille, et la suivait du regard.
Elle se sentait stressée. Elle ne savait pas comment introduire son histoire sans blesser son compagnon. Comme si celui-ci avait deviné son angoisse, il l'attrapa par la taille et, l'amenant près de lui sur le lit, lui souffla :
" Calme-toi. Raconte-moi simplement ce qui t'inquiète, sans détour, sans chercher à m'épargner quoi que ce soit. "
La jeune fille le regarda tristement. Elle espérait qu'il la comprendrait, qu'il comprendrait son bouleversement, et qu'il lui pardonnerait sa brusquerie. Elle inspira profondément puis débuta son récit.
[ Erine longeait furtivement le mur de pierre délimitant la propriété de Lubio. Son sang battait ses tempes. Elle était excitée d'impatience car elle n'avait pas prévenu le garçon de sa visite. Elle s'imaginait déjà en train de lui bondir dessus et lui de tomber en arrière sous le coup de la surprise.
Elle arriva à la grille et, se plaquant contre le mur, jeta un rapide coup d'oeil dans la cour : aucune mèche noire en vue, pas même l'ombre d'une queue touffue. Quelle chance elle avait, elle qui craignait que les chiennes n'aboient en la voyant et ne préviennent son ami de sa présence. Elles devaient sûrement être parties jouer à travers la plaine, comme les laissait si souvent faire Lubio.
Courbée en avant, elle traversa rapidement l'étendue herbeuse qui la séparait de la maison et se posta au coin de la porte d'entrée. Mais alors qu'elle approchait son doigt de la sonnette pour attirer son jeune ami, elle sursauta : derrière elle, la poignée de la porte-fenêtre menant à la bibliothèque venait de s'abaisser en grinçant.
La jeune fille se releva subitement et bondit vers le coin le plus proche de la propriété qui, avec la bâtisse, formait un renfoncement ombragé. C'était dans ce renfoncement que dormaient et mangeaient les chiennes habituellement. Erine s'accroupit, se collant au mur, en espérant que son compagnon ne l'avait pas vue se cacher. Elle banda ses muscles, se préparant le cas échéant à lui sauter au cou et à le surprendre quand même un peu, mais ne put achever son projet : l'homme qui passa devant elle sans même la voir et qui sorti nonchalamment de la propriété n'était pas Lubio. Il était plus âgé, plus musclé, et ses cheveux étaient moins noirs, moins longs et parsemés de mèches grises.
Intriguée par cet étrange individu, la jeune fille s'approcha de la porte-fenêtre et regarda furtivement à l'intérieur de la pièce. Son amant était là, assis dans l'un des fauteuils vermeils, lui tournant presque le dos. Et, face à lui, il y avait une fille. Une fille qui semblait avoir le même âge qu'Erine. Une fille aux longs cheveux noirs et aux yeux verts. Elle se dandinait sur place, les mains derrière le dos, et elle souriait.
Erine eut l'impression que cette fille était nerveuse, anxieuse, et en même temps au comble du bonheur. Elle et Lubio semblaient en grande conversation, une conversation tantôt grave et tantôt passionnée. Erine observa longtemps cette belle et jeune inconnue, svelte et radieuse. Elle avait un sentiment de malaise qu'elle ne pouvait s'expliquer. Soudain, la jeune fille cessa de se balancer et sortit les mains de derrière son dos. Elle se massa le cou, l'air gêné, et fit signe à Lubio de s'approcher. Le garçon se leva, s'approcha et se pencha en avant pour amener son oreille près de la bouche de la jeune fille - elle faisait environ dix centimètres de moins que lui -. D'un geste fulgurant, elle s'accrocha à son cou et l'embrassa en souriant.
Le coeur d'Erine fit un bond. Elle avait l'impression que ce baiser l'avait transpercée de part en part. Elle était choquée et indignée : choquée de voir d'autres lèvres que les siennes caresser celles de son ami, indignée que ce dernier ne fasse rien pour repousser cette... cette... cette sale petite trainée !
L'inconnue desserra son étreinte et recula d'un pas, regardant tendrement le garçon de ses grands yeux verts où se mêlaient tour à tour l'espoir et la crainte, le doute et la certitude. C'est alors qu'Erine vit Lubio faire ce que jamais elle n'aurait cru qu'il ferait : lentement, il leva sa main droite vers son visage et écarta sa grande mèche noire. Erine ne put rien voir car le garçon lui tournait le dos, mais le visage de la jeune fille sombra dans la douleur et la détresse et des larmes vinrent baigner son regard de jade.
Elle parlait, secouant énergiquement la tête, triturant de désespoir le bas de son vêtement. Lubio ne faisait aucun geste réconfortant vers elle. Il la laissait seule dans son apparente torture. Elle lui agrippa vivement les épaules, ses lèvres s'agitant avec une rapidité extrême. Elle semblait le supplier, mais le garçon restait statique, serrant les poings.
C'est alors que le visage de la jeune fille changea brusquement : elle avait l'air furieux et hurlait en secouant Lubio. De l'autre côté de la porte vitrée, Erine perçut quelques bribes de ces éclats de voix :
" ... ible ! ... fance... la trouver... plus que moi ! "
Immédiatement, Lubio la repoussa avec brutalité et lui cria :
" ... terdis ! ... tuerais si... pris, Luna ?! "
Puis, d'un mouvement ample et énergique, le garçon désigna la porte-fenêtre à son interlocutrice. Erine recula vivement, se plaquant de nouveau contre le mur, priant pour que ni la jeune fille ni Lubio ne la découvrent. Une fraction de seconde plus tard, la porte s'ouvrit à la volée et la jeune fille à la longue chevelure ébène s'enfuit en courant.
Après quelques secondes durant lesquelles Erine essaya de retrouver assez d'esprit pour se lever, elle l'imita et déguerpit de la propriété. ]
Ca y est, tout était dit, il savait tout et Erine espérait que Lubio lui pardonnerait de l'avoir espionné. Mais, d'un autre côté, elle n'avait rien fait de mal, elle. Alors pourquoi serait-ce à elle d'être excusée ?
Elle le regarda, triste et désemparée. Elle aurait tant voulu ne jamais avoir été là, ne jamais avoir vu ça, mais c'était trop tard. Tout était si confus en elle... Pourquoi tout cela devait-il lui arriver à elle ?
Son amant passa son bras autour de ses épaules et la serra contre lui.
" Pardon... " murmura-t-il, le nez enfoui dans la chevelure d'Erine, " j'aurais dû réagir... Pardon de t'avoir fait subir ça... Mais je te jure, tu n'as aucune crainte à avoir : jamais personne ne prendra ta place dans mon coeur. "
Et il lui expliqua alors ce qu'il jugeait devoir lui dire. En fait, cette fille était une de ses lointaines cousines, dont la branche était partie vivre au sud du pays. Lubio et elle ne s'étaient rencontrés que trois ou quatre fois dans leurs vies et, chaque fois, le garçon lui avait été d'un grand secours. Et c'était cela, le fait qu'il ait été sa seule bouée de secours, son seul repère dans ce monde - car elle aussi avait perdu très tôt ses parents et vivait exclue de la société - qui avait fait croire à cette jeune fille qu'elle éprouvait des sentiments d'amour envers Lubio.
Erine se sentit peinée pour cette pauvre chose qu'elle avait cru être sa rivale. Elle se blottit contre son amant, essayant d'effacer cette scène de son esprit, ne souhaitant plus que goûter le bonheur d'être auprès de Lubio en sachant que son coeur lui appartenait.
************************************************************************************************
AVIS AUX LECTEURS !!!
Les trois prochains chapitres ont été écrits avant le début de l'histoire.
Aussi, ils comportent quelques éléments un peu incohérants ou n'ayant plus aucune valeur informative, ayant été déjà précédemment fournis.
Toutefois, je tiens énormément à chaque mot de ces chapitres car ce sont eux qui ont lancé l'envie de compléter l'histoire à laquelle ils appartenaient.
Je souhaiterais donc savoir auprès de vous, lecteurs fidèles ( enfin, lectrices puisque pour l'instant il n'y a que Natane et Asuka ^.^' ), si la mise en ligne tel quel de ces chapitres serait vraiment gênante ou si vous accepteriez de vous en accomoder...
( Et puis, ça m'éviterait de perdre mes deux semaines de vacances à les réécrire -_-' quel fainéant je suis... )
Voila, fin du message ! ^.^Merci de votre attention et à bientôt pour le prochain chapitre : < Un traître ? ; " Je veux vivre... " > ( titre du chapitre si celui-ci n'est pas retouché )
|