Alors que Benjamin restait sans voix, les yeux fixés sur ces vieux journaux aux articles inquiétants, Dan, qui continuait d’attendre en bas de l’échelle oxydée, l’appela une fois de plus. Il lui répondit rapidement puis remit les journaux à leur place avant de retourner vers la trappe ouverte. Il se pencha au dessus du vide et cria :
-Y’a nada ici ! Vous n’avez pas trouvé une lampe en rabe ?
-Non, on n’en n’a que deux. Bon oublie, on fera avec.
-P’tain, rétorqua-t-il.
Le jeune homme resserra les bretelles de son sac à dos puis empoigna l’échelle rouillée pour descendre. Lorsque ce dernier posa enfin les pieds sur le sol humide, Edward dirigea le faisceau lumineux vers le couloir obscur et menaçant en face de l’échelle. Les trois lycéens restèrent immobiles un instant à regarder dans cette direction, ils restaient silencieux ; des bruits sourds et stridents, comme si on tapait sur de la taule avec un marteau, résonnaient depuis le fond du couloir et bien au-delà, et ces bruits étaient accompagnés d’autres sonorités monstrueuses et indescriptibles. Un long frisson parcouru le corps de chacun des trois garçons et, alors que l’un d’eux déglutit bruyamment, Dan détourna son regard et suggéra aux autres de vider leur sac.
-On aura du mal à bouger avec tout ce qu’on a dans les sacs, précisa-t-il. Vu la zone dans laquelle on s’est mit, vaut mieux prévoir le cas où on devrait se mettre à courir.
Il ajouta :
-Et comme ça on pourra récupérer des trucs utiles, on sait jamais.
-Gardez vos trousses et de quoi écrire, au cas où, déclara Edward.
-J’ai tout laissé là haut, dit Benjamin, mais j’ai des marqueurs sur moi.
-« De quoi écrire » ? Tu pense vraiment qu’on aura le temps de prendre des notes dans cette espèce de sous-sol, répliqua Dan ? On ne va pas en cours de découverte là !
-Bah ! On sait jamais, tu l’as dit toi-même.
Une fois les sacs vidés, chacun sortit son téléphone portable et regarda l’état du réseau et de la batterie. Chaque appareil était plus ou moins chargé. Cependant, Benjamin leva la tête et regarda l’ouverture au dessus de lui avec anxiété.
-Il n’y a presque pas de réseau, dit-il. Si on avance là-dedans, on ne pourra plus joindre ceux qui sont à la surface.
-Ca pose problème ça, remarqua Edward. Qu’est-ce qu’on fait ? S’il nous arrive un truc, qu’on a besoin d’aide ou quoi, comment on fera pour les prévenir ?
-On ne va pas remonter alors qu’on n’a pas encore bougé, s’exclama Dan ! Ce n’est pas toi qui voulais savoir où ça menait, cette trappe ?
-Ce n’est pas ce que je voulais dire.
-Bon, alors ? On va avancer, c’est tout ce qu’on à faire. Si on rencontre un problème, soit on le contourne, soit on le résout, et si ça devient dangereux on fait marche arrière.
Edward et Benjamin ne répondirent pas, tous deux doutaient du danger qu’il pourrait y avoir. D’abord, tous ces outils louches et cette hache rouillée, puis ces journaux poisseux qui parlaient de disparitions au sein même de l’établissement, le grondement sinistre et continu qui résonnait ainsi que les bruits secs qui se faisaient entendre, et l’existence même de ce sous-sol glauque… tout ceci leur disait qu’ils n’étaient pas en sécurité. Finalement, ils se déterminèrent tous les trois à pénétrer dans ce lieu sombre, et ils firent leurs premiers pas dans le couloir obscur.
Pendant ce temps, les quatre autres lycéens s’agitaient à la surface. Patrick, Lisa, Ana et Florence, après avoir constaté que le rez-de-chaussée était désert et que les téléphones fixes ne fonctionnaient pas, décidèrent de parcourir les couloirs et les étages du lycée, espérant encore trouver une quelconque personne qui serait apte à les aider. Ils se retrouvèrent un quart d’heure plus tard à leur point de départ, le hall d’entrée, et rendirent compte de leurs recherches.
-Alors, demanda Patt ?
-Personne, répondit Florence. Et de votre côté ?
Lisa et Patrick répondirent d’un lourd silence. Les premiers signes de panique commencèrent à se faire ressentir chez les adolescents.
-C’est pas vrai, fit Patrick… Ce n’est pas normal qu’il n’y ait personne nulle part !
-Même la directrice n’est pas là, ajouta Ana désespérée.
-Ni ce crétin de Vauquet d’ailleurs, renchérit Florence.
-Vauquet ? L’espèce de concierge, demanda Lisa ?
-On ne sait même pas à quoi il sert vraiment ce type, remarqua Patrick. Quand il ne mate pas les filles du lycée il est toujours dans les pattes de la dirlo. Enfin, si elle n’est pas là, ça ne m’étonne pas qu’on ne le trouve pas non plus.
Il marqua une pause, se mit à réfléchir puis se dirigea vers la sortie.
-On n’a qu’à aller chercher de l’aide à l’extérieur, dit-il, il y a toujours du monde devant le lycée ou au snack en haut de la rue.
Les filles le suivirent jusqu’au portail qui séparait l’enceinte de l’établissement de la rue. Une ombre planait sur le lycée ; la couleur du ciel qui sombrait petit à petit le rendait menaçant, comme le nuage de corbeaux qui survolaient la cour. Le jeune homme agrippa les barreaux du portail et força pour l’ouvrir, mais rien à faire : il était verrouillé depuis la fin des cours. Patrick tenta d’apercevoir un quelconque passant pour l’interpeler, mais la rue était déserte. Il leva la tête pour voir s’il pouvait passer par-dessus, mais de récentes installations l’en empêchaient. « C’est plus un bahut, c’est une prison. », pensa-t-il. Agacé, il se retourné vers ses amies et leur dit d’aller voir s’ils pouvaient passer par le collège (le lycée et le collège étaient regroupés, mais les élèves ne se mélangeaient pas) ; il courut alors vers le portail du côté du gymnase mais, là encore, il n’y avait personne dans la rue, ni aucun moyen de passer de l’autre côté des barreaux. Il retourna auprès des filles un peu plus sur les nerfs, elles l’attendaient déjà, assises sur l’amphi au milieu de la cour.
-Alors ?
-Tout est fermé, répondit Lisa, et y’a pas moyen de passer par-dessus les barrières.
-Fait chier ! Putain… bon, on n’a qu’à rejoindre les autres, c’est ce qu’on a dit de toute faç…
Une porte venait de se refermer bruyamment et le son produit résonna dans toute la cour, coupant ainsi Patrick dans sa phrase. Il se précipita aussitôt vers les escaliers qui reliaient le collège au lycée, monta les marches deux à deux puis aperçut une silhouette disparaitre dans le bâtiment devant lui. Les filles arrivèrent juste après lui, mais il ne les attendit pas pour foncer jusqu’à la porte qui se refermait à peine. Il chercha la personne qu’il avait vu du regard mais ne la trouva pas ; cependant, il entendait des bruits de pas qui depuis l’escalier qui se trouvait à sa droite, au bout du couloir. Il suivit ces bruits de pas jusqu’à la salle de théâtre ; la personne qu’il pistait passait tout juste une porte qui menait derrière la scène. Les filles arrivèrent enfin derrière lui, essoufflées, et lui demandèrent ce qu’il se passait. Il ne répondit pas, mais une certaine inquiétude se lisait sur son visage. Patrick avait pourtant interpelé cette personne qu’il n’avait pas reconnue, mais celle-ci l’avait ignoré jusque là. On jouait avec lui. On l’incitait à aller plus en avant.
Il décida cependant à suivre l’inconnu jusqu’au bout, ignorant les appels et les questions des trois filles qui le suivaient. Ils arrivèrent dans des coulisses sombres, et retrouvèrent le même silence qui pesait sur tout le groupe scolaire de Berthelot depuis plus d’une demi-heure. Ils l’explorèrent rapidement sans trouver qui que ce soit, mais un élément étrange et familier retenu leur attention : une trappe identique à celle découverte dans la salle des profs du lycée. Le même air frais ainsi que la même odeur de sous-sol s’en dégageait, le même grondement sinistre et continu résonnait depuis le fond.
-Qu’est-ce qu’on fait, demanda Lisa ?
-… Je ne sais pas.
-On y va.
Edward fit le premier pas ; les trois lycéens s’aventurèrent alors dans le sombre dédale qui s’étendait sous la surface. L’ombre qui planait au dessus du lycée s’épaississait et le vent soufflait de plus en plus. Dans les coulisses du théâtre, les quatre autres élèves restaient immobiles et indécis devant cette autre porte qui menait aux ténèbres, et la lumière écarlate du soleil qui disparaissait et parvenait encore jusqu’à eux les plongeait peu à peu dans l’ombre.
FEAR 3 – First Step
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