Des gémissements inarticulés montaient des entrailles de la terre. De petits cris de souffrance étouffés faisaient écho aux coups sourds qui emplissaient les parois caverneuses des enfers.
Aucun soldat n’osait s’approcher de la geôle où s’était enfermé le plus cruel des trois juges pour rendre sa sentence sur sa victime.
La pièce était sombre, humide et mal odorante. Les relents de peur, de sang et de déjections humaines stagnaient dans la prison et augmentaient à chaque nouveau détenu. Un unique soupirail constitué de stalactites situé en haut de la cellule laissait filtrer un trait de lueur blafarde probablement dû aux torches situées à l’étage. Des chaines souillées de rouille et de sang pendaient du plafond et des murs prêtes à recevoir leurs nouvelles victimes en leurs seins. Certaines enserraient toujours les poignets de squelettes qu’on avait laissé pourrir sur place, quelques moignons de membres putréfiés s’étaient détachés des corps auxquels ils avaient appartenus et pendaient en loques de chairs.
Aiolia était là. Debout au milieu de la pièce, les poignets entravés par les fers attachés au plafond. Ses liens lui sciaient les poignets. Assez pour lui couper la circulation sanguine, l’écorcher et le faire souffrir, mais trop peu pour lui sectionner les veines et le tuer. Le sang coulait lentement de ses poignets lacérés et déjà infectés jusque sur ses bras tuméfiés, bleuis par les coups qu’il avait reçus. Ses cheveux étaient plaqués par la sueur et le sang sur son visage. Son arcade fendue saignait abondamment et lui brouillait la vue. De ses lèvres ouvertes, filtraient par moments de fins gémissements qu’il n’arrivait pas à contenir malgré sa résistance et sa fierté. Son armure et son corps étaient brisés. Son esprit s’effilait à mesure que le supplice se faisait plus rude et la douleur toujours plus atroce.
A chaque fois qu’il sombrait dans l’inconscience pour trouver le repos, il se voyait réveillé en sursaut par la morsure glacée d’un seau d’eau en plein visage qui ravivait à chaque fois les souffrances de ses blessures et de ses muscles endoloris.
Son armure pourtant si solide n’avait pas résisté aux assauts de sévices dont il avait été rué. Sa protection dorsale s’était fissurée puis brisée à force d’être battue par Rhadamanthe dont la fureur des coups ne mollissait jamais.
Son dos était lacéré, meurtri, déchiqueté par les chocs qui lui pleuvaient dessus depuis le début de sa captivité. Son échine n’était plus que chair à vif. Une immense plaie que l’on rouvrait continuellement pour le simple plaisir de le voir souffrir le martyr.
Le poids de son corps suspendu pesait gravement sur ses épaules écartelées par la douleur à force d’avoir les bras écartés et enchaînés. Il avait du mal à tenir sur sa jambe gauche dont le muscle du mollet se voyait atrophié par un coup violent qu’il s’était reçu.
Un énième claquement atterrit sur son dos lui crispant tous les muscles de son corps sous la douleur qu’il venait d’éprouver. Il serra les dents à se les briser pour étouffer le cri de souffrance qui voulait sortir du plus profond de son coffre. Il voulait plus que tout éviter de donner à son bourreau la satisfaction d’entendre ses plaintes. Mais, cri ou pas, Rhadamanthe continuait inlassablement à déchaîner son sadisme sur le Chevalier du Lion.
« Tu mourras avant tes camarades dans d’atroces souffrances, je peux te l’assurer. Je me chargerais personnellement de te faire endurer mille tourments chaque jour pour te faire regretter ton existence et t’être opposé à mon maître. » ne cessait de répéter le juge en se complaisant dans la torture.
La tentation de laisser passer une complainte de douleur était parfois trop forte et un râle d’agonie filtrait du plus profond de sa gorge sous les sourires satisfaits de Rhadamanthe. Parfois même, la douleur se faisait tellement intense qu’il sombrait dans les méandres de l’inconscience. Seul moment de répits où les coups lui semblaient lointains et la douleur moins cuisante.
Tout était noir. Il était perdu dans l’immensité de son inconscient. Les abîmes de son esprit cherchaient à étendre leurs bras pour l’attirer dans leurs filets et ne plus jamais le relâcher. Une toile machiavélique se tissait tout autour de lui en l’habillant d’un manteau mortuaire. La caresse glacée de la mort passait sur son corps meurtri, apaisante, rassurante, presque accueillante. La douce étreinte de la faucheuse l’appelait, il lui semblait entendre au loin le requiem mortuaire, prélude à son décès.
Sa première pensée alla pour son grand frère, Aioros. Enfin il viendrait le rejoindre. Enfin il serait libéré de la souffrance de leur séparation. Enfin il ne serait plus seul. Il avait échoué, il n’avait pas réussi à sauver les filles malgré sa volonté et son courage à revendre. Son trépas dans une lente agonie était son châtiment. Il ne reverrait plus le fruit d’Hélios se lever sur le Sanctuaire et baigner son temple de lumière. Il ne connaîtrait plus la paix de son chez lui. Jamais plus il ne rirait avec ses compagnons et les deux jeunes filles. Il était las, il le sentait. Il allait mourir jeune, comme son frère.
Lentement, doucement, il se laissait envahir par le sentiment de bien-être de la vie s’écoulant de son corps. Son âme glissait vers le repos éternel et la libération bien que sa conscience ne lui dispute encore l’envie de se battre pour ne pas abandonner ses amis. Il était chevalier après tout, mais il était si fatigué… Harassé physiquement par les coups. Détruit psychologiquement par sa condition de prisonnier. Il voulait juste se reposer un peu… Rien qu’un peu en fermant les yeux…
Soudain, une douleur poignante dans le dos l’arracha à ses désirs de fin de vie. Il rouvrit les yeux en même temps qu’un cri de souffrance franchissait ses lèvres pour se perdre en gémissement.
« Je t’ai dis que je ne te laisserais pas mourir si facilement. Réveille-toi misérable larve ! » cracha Rhadamanthe en aspergeant de sel les blessures du chevalier du Lion pour réveiller la douleur.
Il lui asséna un violent coup dans les reins pour terminer de le sortir de sa torpeur. Le choc résonna dans le corps du chevalier comme les vibrations d’une imposante cloche sonnant l’heure. Une douleur sourde s’empara de tout son être, lancinante, poignante, insupportable.
Sa tête était martelée par une souffrance au-delà du stade de la migraine. Chacun de ses muscles, de ses os, la plus petite parcelle de sa peau, tout lui était douloureux au centuple. Le sang lui brouillait sa vision déjà floutée par l’éclatement de nombreux vaisseaux sanguins, teintant le blanc de son œil du carmin de son hémoglobine.
Il distinguait à peine une forme confuse face à lui. Même s’il savait à qui appartenait la silhouette, il n’eut guère plus de temps de chercher à savoir s’il s’agissait bien du juge car une vague glacée s’abattit sur lui avec la force et la violence d’un torrent dévalant les pentes enneigées d’une montagne.
Il suffoqua. Le choc fut si brutal que ses côtes brisées lui coupèrent la respiration lorsqu’il voulut gonfler ses poumons. Son diaphragme se bloqua aussi sec, l’empêchant de respirer. Il n’arrivait plus ni à chasser l’air de son appareil respiratoire ni à prendre une nouvelle bouffée d’oxygène. Un coup de poing chargé en cosmos droit dans l’estomac lui fit cracher sang et air sans qu’il n’ait le temps de s’y préparer.
Il toussa sa douleur dans un gargouillis sanglant qui n’émeut nullement le juge des enfers. Bien au contraire, la respiration sifflante du chevalier l’exécra au plus haut point et il lui flanqua un énième coup pour le faire taire.
Harassé, Aiolia lâcha un cri de souffrance et de désespoir avant de replonger vers les limites de l’inconscience. La poigne de Rhadamanthe lui agrippa les cheveux et lui tira la tête en arrière sans ménagement.
« Je vais te pourrir la vie jusqu’à ton dernier souffle. Je te ferais regretter le jour de ta misérable expérience en tant que sous-fifre d’une déesse qui n’en a que le titre. Je te torturerais, lentement, et je prendrais un énorme plaisir à te voir souffrir et à te voir mourir. »
Il raffermit sa prise sur la chevelure du malheureux à lui en décoller le cuir chevelu. La nuque du chevalier du lion craqua sous la pression des doigts du juge qui ne cessait de lui rabattre la tête en arrière, lui donnant des airs de pantin désarticulé.
« Quand j’en aurais fini avec toi, tu me supplieras de t’achever. » lui susurra-t-il à l’oreille de manière sadique en lui infligeant une frappe colossale entre les omoplates pour arracher un nouveau cri à sa victime.
Des coups à la porte de la cellule vinrent déranger le bourreau dans sa basse besogne. Un grognement de mécontentement filtra entre les mâchoires serrées du juge, pour rien au monde il ne voulait être dérangé lorsqu’il s’amusait avec ses victimes.
Il allait se repencher sur le cas d’Aiolia en faisant comme s’il n’avait rien entendu, mais une nouvelle salve de frappes retentit encore sur la porte.
« QUOI ?! » rugit Rhadamanthe du ton le plus énervé qui soit.
« L-l-l-l-le Se…Seigneur Hadès v-vous récl-clame… » piailla un garde qui aurait préféré être n’importe où plutôt qu’à l’endroit où il se trouvait après avoir mit Rhadamanthe hors de lui.
Un nouveau cri de rage de la part du juge fit décamper le sous-fifre avant qu’il ne reçoive la réponse à sa requête.
Rhadamanthe laissa échapper sa frustration dans un nouveau coup de poing qui alla se loger dans la mâchoire du chevalier du lion dans un craquement sinistre. Le juge cracha et enserra les joues du chevalier entre ses doigts sans se soucier de la douleur qu’il lui infligeait.
« Tu ne perds rien pour attendre crois-moi. Je vais revenir te détruire dès que j’en aurais l’occasion. »
Il lâcha le chevalier d’Athéna sur ses mots et parti d’un pas triomphant en claquant la porte de la geôle derrière lui.
Un silence de mort retomba sur la prison plongée dans l’obscurité des enfers. L’intrusion inopportune du garde avait sauvé Aiolia en lui accordant un sursis face à la colère de son tortionnaire.
Mais pour combien de temps …? Et à quel prix ? Il était évident qu’à son retour Rhadamanthe laisserait couler sa frustration sur Aiolia dans une énième pluie de coups et de tortures toutes plus infâmes et douloureuses les unes que les autres.
Il restait là, accroché à ses chaînes et baignant dans son propre sang tel une bête dans un abattoir en accusant la douleur des mauvais traitements qu’il avait subit. Ses pensées s’égaraient une fois encore. Son corps brisé, ses muscles meurtris, son âme torturée, tout le faisait souffrir. Il se sentit de nouveau partir dans les abymes de l’inconscience, mais il ne savait ni s’il pourrait en revenir, ni s’il en avait envie…
Une lumière vive, une aspiration impromptue et à peine eut-il le temps de comprendre ce qui lui arrivait que le Chevalier du Verseau s’était vu téléporté hors du combat. Malgré son légendaire sang froid il cria, tempêta et usa de son cosmos pour contrecarrer l’idée de son ami, mais rien n’y fit. On ne peut désamorcer une téléportation une fois celle-ci enclenchée.
Il l’avait vu. Ce sourire triste symbole d’adieu gravé sur les traits fins du Gardien de la Première Maison Zodiacale. Cette résignation tragique dans l’acceptation d’une mort certaine. Ce sacrifice au nom d’une cause juste, mais qui aurait pu être évité s’il l’avait laissé unir leurs forces.
Il erra dans la pénombre du voyage, hanté par la dernière vision qu’il lui restait désormais de son frère d’arme. Il atterrit au sein de la horde de ses compagnons aux visages agars et aux expressions pantoises devant cette arrivée pour le moins inopinée. Tous avaient arrêtés leur course vers le prochain cercle et le regardaient comme s’il s’agissait de la première fois qu’ils le voyaient.
Quelque chose avait dû se passer. Quelque chose de grave pour que leur ami se trouve ici dans un sale état en laissant apparaître aux yeux de tous un visage déconfit et atterré.
« Camus ! Que fais-tu ici ? Que s’est-il passé ?! » finit par demander Shaka pour briser le silence.
Tous avaient les lèvres brûlantes de mille questions quant à son apparition soudaine et devaient se faire violence pour ne pas le harceler ou le bousculer alors qu’il restait muet.
« Camus, reprit le Chevalier de la Vierge, où est Mü …? »
Le Gardien de la Onzième Maison fixa sur lui son œil bleu encore valide et l’horreur de ce qu’il venait de vivre éclata de sa bouche. Il sauta sur ses deux pieds et partit en direction du Cercle de la Haine laissant libre cours à sa panique.
« Il va se sacrifier ! Il faut y retourner ! A nous deux on peut le vaincre ! Il n’a pas besoin de faire face seul ! A nous deux on peut gagner ! »
D’un coup, il s’interrompit. Un déclic se fit chez tous les chevaliers rescapés alors que Camus stoppait net sa course pour rejoindre son ami.
« Non… »
Sa voix se perdit dans la noirceur des enfers, dénuée de tout espoir, vierge de chaleur et noyée de remords. Les ténèbres ne lui parurent jamais aussi froides et inhospitalières qu’à ce moment présent où il avait ressenti l’étau glacé de la faucheuse se refermer sur eux.
Lui, pourtant chevalier des glaces, avait frissonné en sentant son échine parcourue par les pics givrés de la culpabilité. Ce combat était fait pour être mené à deux ! La puissante force des étoiles combinée à celle mordante de la glace pour une symbiose parfaite contre la magie du sang. Et pourtant… Il ferma son œil empli de tristesse. Pourtant il était trop tard…
Un silence de mort planait sur le champ de bataille tel un vautour rôdant autour de sa proie. Les bulles d’acide éclataient de manière éparse haut sous la voute du Quatrième Cercle, déversant leur fine pluie corrosive, silencieuse mais mortelle.
Le doux ‘plic plic’ de l’averse résonnait de paire avec le dernier filet de liquide qui chuintait de la cascade de glace, macabre mélopée dont les notes suaves emplissaient les parois du cercle. Le sifflement strident de l’acide rongeant les matières organiques et métalliques qu’il rencontrait s’élevait au rythme des volutes blanches de fumée dansant au son de leur concert mortuaire.
Juché au sommet de sa tornade d’hémoglobine, Nero se voyait déjà contemplant sa victoire. Par une envie stupide de fierté, son adversaire venait de lui simplifier la tâche en éliminant pour lui l’homme qui aurait dû être sa future victime et, probablement, le plus difficile à battre. Il aurait quand même bien aimé lui faire ravaler l’attaque qui avait gelé son lac et avait failli le faire se décourager par la même occasion, mais après tout quelle importance ? Cela lui faisait économiser force et temps. Toute son attention se rapportait donc sur son dernier et unique ennemi : le Chevalier du Bélier.
Ce dernier était d’un calme olympien alors que les restes de sa technique pour se débarrasser de son collègue hantaient toujours les lieux en créant de petites aspirations ça et là pour ingurgiter quelques bulles acides vers on ne sait où…
Mais peu importe, il augmenta son cosmos pour lui asséner la vague finale qui engloutirait son ennemi à jamais dans les tréfonds de son lac ensanglanté. Son lac ! Malédiction ! Il avait oublié que cet idiot de chevalier d’Athéna l’avait entièrement congelé ! La peste soit sur ce maudit qui avait réussi son coup en contrecarrant tous ses plans !
Il jura, ragea et regretta avoir pensé quelques secondes plus tôt d’avoir été libéré de ce gêneur. Il l’aurait bien occis de ses propres mains tout d’un coup… Tant pis pour le chevalier restant, il récolterait toute son animosité regroupée en une douloureuse attaque en plus de la mort atroce qu’il comptait lui donner.
Il scruta l’étendue gelée et usa de son affinité pour déceler une partie où la glace était moins épaisse. D’un geste, il appela par son cosmos une tornade à s’élever dans les airs. Elle brisa la pellicule recouvrant la banquise de son lac dans un fracas assourdissant et fila plus haut dans les airs qu’aucune autre invoquée jusqu’alors.
« Tu viens de signer ton arrêt de mort : Deadly Tsunami ! » tonna-t-il en s’esclaffant sur son imminente victoire.
Mais Mü, les yeux fermés et serein, ne semblait guère impressionné par ce revirement de situation. Ses cheveux violine flottaient dans une brise inexistante et la pluie ne cessait d’être aspirée derrière lui par un étrange maléfice invisible.
Quand tout à coup, de petites lueurs pareilles à des étoiles se mirent à briller tout autour de lui et semblaient faire écho à l’appel de son cosmos. Une à une, elles s’allumaient comme le firmament un soir d’été et l’enveloppaient d’une aura douce et apaisante malgré la tension qui régnait sur le combat. De petits arcs électriques zigzaguaient d’une étoile à l’autre rendant l’atmosphère encore plus oppressante. L’air se faisait lourd et semblait de plomb dans les poumons faisant de chaque respiration un calvaire pour les deux hommes présents.
Un flash lumineux éclaira soudain le cercle l’espace d’une seconde. C’est alors que l’issue du combat se renversa.
Mü ouvrit les yeux et darda un regard bleuté emplit de détermination sur son ennemi. Il écarta les bras et une fureur sans nom mugit hors de sa gorge alors que son cosmos atteignait des sommets pour exploser plus puissant et brûlant que jamais.
L’air se déchira. Une faille se découpa dans l’atmosphère derrière le chevalier et enfla à vue d’œil. Elle ne cessait de grossir encore et encore, comme si elle se nourrissait de tout ce qui l’entourait pour atteindre un diamètre d’envergure inimaginable. Plus vaste que les méandres de l’univers, plus imposant encore que le cosmos qui le déployait, plus mortel qu’aucune autre attaque perpétrée jusqu’alors…
C’était un gigantesque trou noir qui venait de se créer derrière le Premier Gardien dont la force titanesque aspirait tout aux alentours sans distinction. Le cri de Mü se perdait dans la violence de son attaque qui ne cessait d’enfler à mesure qu’elle se nourrissait de ce qui se trouvait à sa portée. Le chevalier luttait contre l’aspiration incessante, les pieds aussi ancrés dans le sol que sa force pouvait le lui permettre. Il ne laisserait pas son ennemi s’échapper !
La peur dansait dans les yeux de Nero à la vision de ce qui était en train de se passer. Jamais il n’aurait pensé que ce chevalier qu’il n’avait eu aucun mal à surpasser en début de combat puisse receler une telle quantité de cosmos et une si grande force !
Ce qui était en train de se passer n’était vraiment pas bon pour lui. Il eut un moment d’hésitation quant au lancement de son attaque. Pourrait-elle rivaliser avec celle monstrueuse qui se préparait ? Avait-il finalement une chance de l’emporter sur son adversaire ? Qu’adviendrait-il si jamais il échouait ?
Tant de questions qui lui faisaient perdre un temps précieux sur l’issue du combat et faisait gagner du terrain au Chevalier du Bélier. Le trou noir béait comme la gueule des enfers et cherchait à tout prix à l’avaler pour ne plus jamais le recracher à la lumière du soleil.
Il eut un mouvement de recul et d’effroi mais tenta de se ressaisir en envoyant enfin son attaque pour déjouer celle de Mü. Mais malheureusement pour lui, malgré toute la force de sa volonté à vouloir triompher et la puissance qu’il souhaiter fournir à son attaque, cette dernière n’était pas de taille face à la monstruosité écrasante qui se dressait contre lui.
Dans sa vision des choses, sa déferlante s’écraserait contre le chevalier d’Athéna, le broierait, l’engloutirait et l’emmènerait par le fond pour l’y noyer en l’envoyant rejoindre sa collection de chevaliers reposant au fond de son lac. Mais il n’en fut rien. La vague était tout juste assez forte pour éclabousser l’armure du chevalier voire le malmener un peu tel un navire prit dans une frêle tempête.
Le trou noir se chargea d’aspirer en son sein l’onde avec la force d’un géant dépeçant sa victime. L’acide se répandait en quantités astronomiques et brûlait Mü qui tentait de faire comme si la douleur était un mirage venu uniquement le détourner de son devoir de chevalier protecteur. Qu’importait si ses bras étaient aussi fumant que les forges du dieu Héphaïstos , que sa tête soit aussi douloureuse que si des milliers d’aiguilles acérées le transperçaient de toute part sans relâche, que la limite de son cosmos fut atteinte et menace de le faire exploser avec son armure en continuant de le pousser toujours plus loin dans ses retranchements, que ses protections dorées soient en train de se fissurer sous la pression de l’attaque et meurtrissent en même temps son corps…
Il vaincrait. Pour les deux jeunes filles avec qui il s’était lié d’amitié. Pour son compère du Lion retenu prisonnier il ne savait où. Pour sa déesse à qui il avait juré fidélité. Pour Camus dont il avait refusé le sacrifice. Pour ses compagnons qui devaient continuer à lutter quoi qu’il arrive…
Le tsunami bouillonnait derrière lui au cœur du trou noir et rugissait comme un animal blessé en faisant nombre de dégâts aux alentours. Mais la supernova tenait bon et Mü luttait pour ne pas s’y faire aspirer comme un vulgaire fœtus de paille.
Il puisa dans ses dernières réserves pour donner tout ce qu’il lui restait pour alimenter son insatiable attaque et se débarrasser de Nero. Le Gardien du Cercle résistait pour rester accroché sur sa tornade gelée contre vents et marées quitte à en perdre toute dignité. Il hurlait tout son saoul qu’il ne pouvait pas perdre et qu’il était puissant à qui voulait l’entendre. Mais il n’y avait personne pour lui venir en aide.
Ses ongles raclaient la glace et se cassaient en essayant de retenir son corps qui tombait inexorablement vers les abysses infernaux. Lorsqu’un de ses cuticules se retourna et le fit lâcher une main dans un cri de souffrance, il sut que s’en était finit de lui.
« Pitié… » articula-t-il à l’adresse de Mü alors qu’il sentait sa deuxième main fléchir sous son poids.
Le chevalier le fixa avec un regard chargé d’indifférence. Il avait le front en sueur et les membres fatigués de maintenir son attaque tout en luttant contre elle en laissant des sillons gravés dans le sol à mesure qu’il se faisait aspirer.
« Où était ta pitié pour les chevaliers que tu as massacré ? » rétorqua-t-il d’un ton calme malgré le harassement marquant ses traits.
Un couinement accueilli sa question, il était perdu. Une aspiration plus violente que les précédentes finit par l’arracher à son perchoir dans une tentative désespérée pour se rattraper. Nero hurla de désespoir en tourbillonnant vers la mort lente et douloureuse qui s’offrait à lui, cette même mort qu’il avait rêvé d’offrir au chevalier.
Exténué, les bras tremblants, les jambes lourdes, le mental élimé, Mü savoura les quelques secondes de sa victoire avant de sentir le trou noir qui le happait de nouveau. Lessivé, il se laissa glisser dans les couloirs de la mort. Il n’avait plus la force de lutter.
Il abaissa ses bras dans un lent mouvement de résignation. Le trou noir se refermait, l’engloutissait. Le chaos assourdissant du combat ne parvenait déjà plus à ses oreilles. Tout était calme. Etrangement silencieux. Comme si le néant aspirait même les sons. Comme si le vide se nourrissait de toutes les couleurs vivantes pour ne restituer que noirceur.
La pesanteur le souleva de terre, l’entraînant doucement mais inexorablement vers son trépas.
Mais Mü n’avait pas peur. Il savait. Depuis l’amorce du combat il en avait connu l’issue et l’avait accepté. Un fin sourire emplis de tristes regrets se peignit sur son visage juvénile. Son attaque était sur lui. Dangereuse et mortellement efficace. Il n’avait pas peur. C’est alors que l’étoile explosa.
Il ferma les yeux, serein. Il n’avait pas peur. Il faisait ça pour le bien. Pour sauver deux vies innocentes. Pour libérer un valeureux compagnon. Pour donner un sursis d’avance à ses camarades. Pour Athéna…
Tous ressentirent ce vide immense qui s’empara d’eux à l’instant même ou leur compagnon quittait ce monde. Cette douleur poignante qui leur martela le cœur quand le cosmos d’un frère d’arme s’effrita sans qu’ils n’aient put intervenir. Ces larmes de regret qui se déversaient dans le sillon des pommettes de chacun en ce tragique moment pour l’histoire de la chevalerie athénienne.
A la vision de ces gouttes cristallines sur le visage vide d’expression de l’apprentie Capricorne, Kuro s’interrogea réellement sur la faille désormais plus que visible dans le sortilège qu’Hadès avait apposé sur elle. La jeune fille était toujours contrôlée par le maître des enfers tout comme elle était dans l’incapacité de penser ou d’agir par elle-même. Et pourtant, c’était bien des larmes qu’il voyait là couler silencieusement sur ses joues.
Pourquoi ? Comment était-ce possible ? Le Seigneur du monde souterrain ne pouvait tout bonnement pas s’être fourvoyé ! Une telle pensée était tout simplement invraisemblable. Mais, à bien la regarder, il n’y avait pas d’autre conclusion logique.
A toute vitesse, Kuro la déchiffra tout en réfléchissant au bénéfice que ce bug pourrait lui apporter. Peut être restait-il encore assez de contrôle pour qu’il puisse l’utiliser sans qu’Hadès le sache. Et si… ? Il fixa la jeune femme, un éclair de génie allumé dans son regard. Ca y est. Il savait. Enfin ! Enfin il avait trouvé un moyen de contrer Hadès pour assouvir ses ambitions.
« Comment ?! » s’écria Hadès en bondissant hors de son trône.
Il balaya sans ménagement le garde de la main pour l’envoyer s’écraser au loin et descendit quatre à quatre les marches le séparant du sol pour s’engouffrer dans le dédale de couloirs sombres. Il traversa nombre de corridors ; fit sursauter les gardes qui surveillaient la porte et ouvrit cette dernière à la volée pour se ruer à l’intérieur de la pièce comme une furie.
« Est-ce que c’est vrai ?!! » tonna-t-il en refermant avec fracas la porte derrière lui en manquant de la briser.
Assise à côté de la cuve où reposait Fitz, Perséphone tourna la tête vers son dieu, nullement inquiétée par sa colère. Elle se releva avec grâce alors que son mari se postait devant sa prisonnière d’un pas furibond. Ce qu’il vit alors le désappointa au plus haut point : des cristaux de peine roulant sur les joues pleines de tristesse de l’ancienne apprentie Gémeaux.
« Oui, elle pleure comme vous le voyez. » annonça Perséphone en s’approchant à son tour.
« C’est impossible ! » tempêta le souverain des enfers en jetant de rage une torche à terre.
Une gerbe de flammes bleues embrasa un instant la pièce, peignant de cyan le corps flottant de Fitz. La fureur du maître des lieux pouvait être ressentie jusque dans les confins des enfers. Il était humilié par une combattante de son ennemie, pis encore une étrangère venue séjourner en leur monde sans une once de pouvoir ! Et cette créature insignifiante le faisait passer pour un moins que rien ?! C’était inconcevable !
Doucement, Perséphone posa sa main d’albâtre sur le bras de son époux pour calmer son courroux. Elle seule savait comment l’approcher et quels mots choisir dans ces moments là sans craindre de finir en pâture au chien des enfers.
« Très cher, il est peut être temps d’utiliser cette chose à nos fins. »
Hadès fulminait, mais par égard pour sa dulcinée trop longtemps disparue, il prit une profonde inspiration et tenta de lui répondre le plus calmement du monde.
« Et comment comptes-tu faire ton œuvre ? »
Un fin rictus malicieux étira ses lèvres nacrées, révélant un sourire d’une blancheur perlée sonnant le glas pour leur prisonnière.
« Nous allons créer une marionnette encore plus docile que l’autre, et avec nous anéantirons les forces d’Athéna, déclara-t-elle en lui prenant la main entre les siennes. Arrachons-lui les derniers sentiments qui pourraient l’attacher à ces pathétiques chevaliers. Transformons-la en machine de guerre contre ses anciens alliés et semons encore plus le trouble dans leur camp ! Alors vous aurez le titre qui vous revient de droit et vous règnerez enfin sur ces êtres chétifs et couards que sont les humains ! »
Le charme de sa voix combiné aux idées délicieusement machiavéliques de son épouse ne put que lui arracher un rictus de satisfaction.
La sentence était tombée, Fitz allait devenir le jouet de leur destin.
Une étoile filante s’alluma dans le ciel. Elle embrasa la voie lactée l’espace d’un instant de sa pâle clarté, puis s’éteignit à petit feu pour ne plus jamais briller de nouveau.
Shion releva la tête, perplexe. Attristé. Il se leva lentement en se dirigeant vers l’entrée du temple. Les yeux levés vers la voute céleste pour déchiffrer les mystères du ciel sur ce qui était en train de se passer. Et pourtant il savait.
Avant même que l’étoile ne se soit éteinte il avait su ce que ce message signifiait. Un sentiment de vide atroce s’empara de lui alors que toute la tristesse du monde venait se peindre sur ses traits et imprégner tout son être.
« Non…c’est impossible… » se murmura-t-il à lui-même en espérant briser cette douloureuse réalité qui venait de voir le jour.
Mais au plus profond de sa chair il savait que le destin en avait décidé autrement. La douleur déferla dans ses veines comme un torrent de peine inondant toute sa personne jusqu’aux tréfonds de son âme. Le vide présent dans son cœur créa un gouffre de tristesse qui ne pourrait être comblé.
Sa main trembla. Regret, frustration, chagrin. Nombre de sentiments se jouaient de lui en ce moment présent mais qu’il ne pouvait évacuer de par son statut de Grand Pope. Il n’était pas en mesure de se le permettre. Cela lui était interdit. Un chef se doit de ne montrer aucun signe de faiblesse quel que soit le motif…
« Grand Pope Shion, snif, Grand Pope Shion. » fit une petite voix pleureuse qui l’obligea à détourner ses pensées de son élève.
En haut des marches, tout essoufflé d’avoir gravit ces dernières tout en pleurant, se trouvait un enfant dont le visage habituellement si joyeux n’était plus que douleur et ravagé de peine et de tristesse.
Le cœur de Shion se brisa à voir l’élève de son disciple encore plus affligé que lui par le drame qui venait de se dérouler.
« Grand Pope Shion, pleura-t-il, je veux pas, snif. Je veux pas qu’il s’en aille, snif. Je veux voir Maître Mü, snif. S’il vous plaît faîtes qu’il revienne, je veux revoir Maître Mü… » s’effondra-t-il incapable de continuer sa phrase tant son corps était secoué de sanglots.
Déchiré, Shion se jeta à terre pour enserrer Kiki contre lui aussi fort qu’il le pouvait. Le jeune atlante fondit en larmes bruyamment en criant sa détresse pour la perte de son maître.
Un flot lacrymal silencieux se déversa des yeux de Shion dans l’incapacité de calmer le pauvre enfant. Qu’importe si les autres le voyaient ainsi car, derrière ses habits de Grand Pope, se trouvait aussi le cœur fragile d’un humain que le trop plein d’émotions avait finit par faire craquer.
Mais personne ne le jugerait. Personne ne verrait d’un œil coupable les pleurs de la perte d’un être cher, d’un camarade.
Un linceul de tristesse était tombé sur le Sanctuaire alors que les cris de désespoir de Kiki résonnaient à travers les Douze Maisons dont une serait à présent vide de son propriétaire.
Athéna les regardait, plus peinée que jamais. Sa douleur transperçait chacun de ses chevaliers et recouvrait le Sanctuaire qu’elle n’avait put protéger.
Des larmes de tristesse ruisselaient sur ses joues rosies par le vent froid de la mort qui s’était abattu sur eux. La main crispée sur son sceptre, elle entama un chant funèbre à la veillée des cieux. Une mélopée funèbre pour compter l’affliction qui tous, sans exception, les habitait.
Car ce soir le Sanctuaire était en deuil.
Ce soir, une étoile s’était éteinte, à jamais…
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