« Shigure ! Mais arrête !! »
BLAM ! La supplique de Kanon n’eut aucun effet si ce n’est celui de devoir encaisser une énième attaque de l’ancienne apprentie Capricorne.
Kuro et sa marionnette leur était tombé dessus à peine quelques secondes après que leur chute vertigineuse dans le puits du Quatrième Cercle se soit terminée. Milo n’avait même pas touché terre depuis trente secondes qu’il s’était vu propulsé dans les airs pour aller s’encastrer dans un mur à cause d’un Excalibur. Shura avait été la seconde victime avant que Kanon ne vienne une fois de plus s’interposer entre eux pour repousser la jeune fille loin de ses compagnons pour limiter les dégâts. Kuro n’était pas en reste et s’amusait à faire ployer le reste des chevaliers sous une bulle noire de gravité qui contraignait le moindre de leurs mouvements. Il gardait toujours un œil sur la possédée, guettant chacune de ses réactions, de ses failles tout comme sa progression en combat due au cosmos des enfers. Pour cela le collier semblait fonctionner, mais pour chacun des coups reçus elle devenait de moins en moins agressive et paraissait même ne plus avoir la volonté de combattre à certains moments. Constatation fort embêtante. Son esprit n’avait pas encore fini de mettre au point l’usage qu’il pourrait faire de la jeune femme lorsque…
« Rozan Sho Ryu Ha !! »
L’attaque frappa Kuro de plein fouet durant le court laps de temps où il avait été inattentif sur le combat l’opposant aux chevaliers de la Balance, du Cancer, du Verseau et de la Vierge. Le gardien des Poissons, présent lui aussi, luttait comme il le pouvait contre le poison le rongeant et pour tenter d’affronter le spectre d’Hadès sans gêner ses camarades. Camus d’ordinaire si sérieux et concentré sur ses combats demeurés vide de toute motivation, rongé par le remord de la mort de Mü. Il semblait errer sur le champ de bataille sans la moindre envie d’y prendre part. A quoi bon échouer une nouvelle fois dans la protection d’un allié ? Quant à sa vie…bah, il aurait dû mourir au combat précédent…pourquoi pas à celui-là ? Death Mask profita du répit que son frère d’arme venait de créer pour lancer lui aussi une attaque dans le but d’en finir avec ce gêneur pour prendre part à celui qui faisait rage à côté. Ce qu’il avait pris au départ pour une illusion se révéla en fait être vrai : c’était bien le cosmos manipulé de Shigure qu’il sentait vibrer non loin de son affrontement ! Comment et pourquoi il n’en avait pas la réponse et il n’en avait cure, elle était là et il fallait qu’il la voit ! Peu lui importait qu’elle soit à la botte d’Hadès en train de ratatiner les autres gardiens zodiacaux, au contraire si elle pouvait éliminer son rival de cœur dans la bataille cela lui enlèverait une bonne épine du pied ! Il fallait qu’il voit ça, mais il devait d’abord se débarrasser de l’adversaire face à lui avant de pouvoir participer à l’autre rixe. Un sourire sadique aux lèvres, il envoya une Vague d’Hadès déferler sur Kuro dans le but de le tuer.
Shaka quant à lui faisait son possible pour piéger leur ennemi à l’aide de son Tenma Kofuku tout en formant un bouclier minimaliste pour protéger Aphrodite en cas d’attaque en traître. L’impossibilité du dernier Gardien à pouvoir se défendre seul les handicapaient grandement et ce soucis avait une légère tendance à atteindre le calme et la sagesse du chevalier de la Vierge. D’après les textes de la chevalerie athénienne il ne pouvait pas laisser un chevalier en mauvaise posture, il avait le devoir de l’aider à se sortir de ce mauvais pas. Mais en agissant ainsi, il ne pouvait attaquer librement et libérer son cosmos pour éliminer son adversaire sans craindre de commettre un fratricide s’il gérait mal la puissance de son attaque. Il avait hâte d’en finir, avec Kuro qu’il considérait comme un contre temps tout comme avec cette expédition aux enfers qui, bien que nécessaire pour récupérer leurs compagnons, restait à ses yeux une folie avec un aller simple dans la gueule du loup. Mais il augmenta néanmoins son cosmos pour faire front à leur adversaire qui revenait déjà à la charge.
De leur côté, Milo, Shura et Kanon essayaient de tenir tête à Shigure sans la blesser, ce qui n’était pas une mince affaire vu que la douceur n’était pas au programme de leur ancienne amie. Milo et Kanon tentaient vainement de faire revenir la jeune femme à la raison tandis que Shura faisait face à ses états d’âme pour ne pas la toucher tout en essayant quand même de l’affronter un minimum pour sortir vivant de ce conflit. C’était un déchirement continuel pour lui de se mesurer à celle qu’il aimait, mais il devait bien se l’avouer : elle ne cherchait qu’à l’éliminer.
Milo avait bien tenté de la raisonner par des paroles mais ce fut un échec cuisant et un envoi direct pour le mur qu’il récolta. Même aboutissement du côté de Kanon qui se forçait à retenir ses coups lorsqu’il propulsait la jeune fille dans les parois des enfers ou lorsqu’il contrait ses attaques. Il avait mal pour elle à chaque bleu ou écorchure qui s’ajoutait sur son corps à mesure qu’elle les défiait et grimaçait quand il l’entendait crier ou gémir de douleur dès qu’elle finissait à terre. Elle ne contrôlait pas ses mouvements ou ses montées de cosmos qu’elle gaspillait pour lancer des attaques à tout va qui, bien que puissantes ou plus ou moins bien calculées, se soldaient toujours par un échec face à des chevaliers de rang Or. Elle faillit même s’ensevelir toute seule en ratant sa cible première qu’était Milo mais en touchant une partie du plafond qui s’écroula sur elle dans une pluie de stalactites et de rochers en tout genre.
Paniqué, Shura hurla son nom en se précipitant pour l’aider à sortir de sous les décombres, oubliant en un instant qu’ils étaient ennemis et ne combattaient pas dans le même camp. Malgré les protestations de ses amis du Scorpion et des Gémeaux, il se rua pour enlever les gravats qui obstruaient le passage et qui bloquaient la jeune fille dessous.
« Shigure ! Shigure !! » ne cessait-il d’appeler avec l’espoir qu’elle lui réponde transformée.
Et là, sous un rocher, la stupeur. La douleur. L’incompréhension. Et Shigure, un sourire sadique affiché sur son visage dur sans autre émotion que celle que le collier voulait bien lui donner. Un hoquet le pris et un liquide rouge lui emplit la bouche sans qu’il comprenne pourquoi. Une bulle d’hémoglobine éclata dans sa gorge lorsqu’il voulut articuler un mot et il ne put sortir qu’un gargouillis sanglant. Sa poitrine lui faisait mal, un pic sourd de douleur venait lui tenailler tout son coffre et faisait hurler chacun de ses muscles. Lorsqu’il porta le regard vers son plexus il vit avec horreur la main de Shigure enfoncée jusqu’au poignet dans sa cage thoracique.
Un ruisseau carmin s’écoulait déjà de sa blessure qui s’annonçait fort profonde. Incrédule, il regarda sa dulcinée, articulant un faible ‘pourquoi’ à travers le filet de sang qui s’insinuait dans sa bouche aussi vite que la douleur s’accentuait. Et un petit rire l’accueillit. Elle rigolait. L’être qu’il aimait le plus au monde avait manqué de quelques centimètres de lui transpercer le cœur et il riait ! Un rictus sadique de fierté et d’insensibilité devant son adversaire gratifiait Shura d’avoir voulu la sauver.
« NON !! » hurla Milo en voyant la scène ignoble qui venait de se passer sous ses yeux sans qu’il n’ait rien pu faire.
L’attention de Shigure fut portée sur le chevalier du Scorpion qui la regardait désespéré, Kanon à ses côtés qui n’en revenait pas non plus de ce qui venait d’arriver. Jamais au grand jamais ils n’auraient pu penser qu’un tel évènement puisse se produire même dans leur pire cauchemar ! Alors lentement, presque au ralenti Shigure entendit une voix au plus profond d’elle.
Pourquoi as-tu fait ça ? lui disait-elle sur un ton de reproche mêlé de dégoût. Tu as tué ton chevalier, jamais plus tu ne pourras le regarder en face !
Son regard se plongea dans les yeux de ses anciens camarades du Scorpion et des Gémeaux. Stupeur, frustration, colère. Tels étaient le mélange des émotions qui se jouaient dans leurs pupilles qu’ils dardaient sur elle comme s’ils avaient put la transpercer.
Jamais ils ne te pardonneront ton geste ! Tu seras une bannie. Une honte. Pour toujours une ennemie… lui soufflait encore cette satanée voix.
Elle secoua la tête pour la chasser et ses yeux tombèrent alors sur ceux de l’homme en face d’elle. Il était là, résigné à la regarder lui ôter la vie, incapable d’esquisser un mouvement offensif pour riposter. Malgré ce qui venait de se passer, il ne voulait toujours pas lui faire de mal. Mais quelle était cette souffrance qu’elle voyait dans l’ébène de son regard ? Et pourquoi la fixait-elle avec toute cette tristesse ?
« Shigure… » l’appela-t-il d’une voix faible proche du murmure.
Alors elle se rappela… Ce visage angulaire à l’expression d’habitude si douce, cette coiffure de geai si souvent en bataille, ce regard ténébreux auquel elle ne pouvait jamais résister. C’était un chevalier d’Athéna, son chevalier. Les mêmes origines les reliaient, le même signe zodiacal les unissaient, ce goût identique pour la justice qui les avaient conduit à se battre dans le même camp. Son regard se faisait plus limpide. Son esprit cotonneux s’éclaircissait comme sorti d’un mauvais rêve. Mais alors, c’était…oui c’était…
« Shura… ? » demanda-t-elle timidement dans un mouvement de lèvres quasiment imperceptible.
Un clignement d’yeux étonné conjugué d’un faible sourire emplit d’une lugubre tristesse lui répondit faiblement, comme si ces deux petits gestes représentaient un effort surhumain.
Elle voulut bouger pour le toucher, pour s’assurer que son cerveau ne lui jouait pas un tour mais son mouvement fut entravé sans qu’elle comprenne pourquoi. Elle baissa les yeux et c’est alors qu’elle le vit. Le sang se répandant sur leurs deux armures et courant sur son bras. Ce bras dont l’extrémité était enfoncée quasiment en plein cœur de son bien aimé. Et elle sentit avec une horreur glacée ses doigts frotter contre les parois visqueuses des organes encore chauds du corps dans lequel son membre était plongé. Et elle subit le frisson mortel qui parcouru le Capricorne et la contraction de ses muscles lorsqu’elle remua à peine sa main. Et elle endura le masque de souffrance qui s’afficha devant ses yeux sur le visage de celui qui aurait pu être son petit ami. Elle était aux premières loges pour assister au macabre spectacle dont elle était l’instigatrice : la lente agonie de l’homme qu’elle aimait.
Elle frissonna. Tressauta. Paniqua. Une cacophonie de reproches, de regrets et de remords se bousculèrent dans sa tête lui faisant perdre son sang froid et toute sa lucidité. Elle hurla, se débattit en usant machinalement de son cosmos malgré les cris sourds de protestation que proféraient Shura à mesure qu’elle cherchait à extraire sa main de la blessure tout en cherchant inconsciemment à cautériser la plaie dans le même temps dans l’intention de le sauver. Mais elle ne se rendit pas compte que dans son affolement elle mettait plus en danger son compagnon qu’elle ne l’aidait.
« Non !! NON !! » ne cessait-elle de hurler en cherchant à se dépêtrer tout comme à se persuader qu’elle n’était pas responsable de cette atrocité tandis que Shura poussait des cris d’agonie ponctués de suppliques pour qu’elle cesse tout mouvement.
« Shigure arrête tu vas le tuer ! » renchérirent les deux autres chevaliers en train d’accourir en renfort avant qu’elle ne commette l’irréparable.
Mais la jeune fille n’avait plus aucune notion de ce qu’il fallait faire ou non. Sa tête la martelait comme si quelque chose y était enfermé et cherchait à en sortir à tout prix. Le cosmos d’Athéna se confrontait à celui d’Hadès dans son corps, livrant une bataille sans merci pour qui aurait le dessus ainsi que le contrôle. Elle bouillonnait, usant des deux cosmos sans pouvoir les retenir ni choisir d’arrêter ce qu’elle entreprenait. Elle n’avait plus aucun contrôle ! Et l’irrémédiable eut lieu : elle retira sa main d’un coup sec du coffre de Shura dans une symphonie de cris de souffrance et de désespoir. Le sang gicla, s’échappant du corps meurtris du chevalier du Capricorne sans que rien ne puisse le retenir. Il s’affaissa. Incapable d’insuffler la force nécessaire à ses membres inférieurs pour le porter. Il resta là, la main couleur cramoisie en vaine protection sur le trou de son poitrail, immobile. A fixer sans vraiment le voir le plafond dont la couleur de ténèbres semblait vouloir l’engloutir. Milo et Kanon se précipitèrent sur lui dans la seconde qui suivit sa chute, le protégeant d’une nouvelle attaque éventuelle. Leur compagnon avait du mal à respirer et tenter de soutenir la douleur révélait de l’exploit tant la blessure qu’il avait reçu était importante, tant physiquement que moralement... Le plus délicatement du monde, ils écartèrent la main de Shura pour constater l’étendue des dégâts. Mais contre toute attente, ce ne fut pas un trou béant avec les organes à vif et le sang coulant à flots qu’ils découvrirent mais une plaie plus ou moins conséquente dont les chairs avaient commencé à se ressouder et dont le fluide vital s’écoulait d’un faible débit. Les deux chevaliers se regardèrent incrédules mais quelque part soulagés : leur ami survivrait.
Cependant leur consolation fut de courte durée car le hurlement strident de la jeune fille les firent se tourner en direction du tapage. Ils la virent se tenir la tête entre les mains en s’égosillant, les yeux révulsés de douleur visiblement en proie à une lutte interne acharnée entre deux puissances cosmiques incontrôlables. Auréolée de mauve et d’or, elle n’avait aucune chance de dompter l’un des deux cosmos. Ils étaient bien trop puissants et elle beaucoup trop inexpérimentée pour réussir à prendre le dessus dans l’état qu’elle était. Leurs flux combinés la soulevèrent de terre dans un déferlement sonore de sa souffrance. Se défendant comme elle le pouvait contre ces forces invisibles, les fantômes d’une multitude d’épées commencèrent à apparaître tout autour d’elle, prémices d’une future attaque vouée à on ne savait qui. Son cosmos augmentait crescendo à sa douleur, alertant les autres combattants quelques mètres plus loin. Tous se tournèrent vers l’étonnant spectacle s’offrant à eux.
« Enfin, le moment est arrivé. » susurra Kuro pour lui-même une nouvelle lueur allumée dans son regard.
Sans laisser le temps aux chevaliers de réfléchir, il usa de ses ténèbres pour se téléporter loin de son combat et réapparaître non loin de sa marionnette. Les Gardiens zodiacaux se ruèrent vers le nouveau champ de bataille pour s’occuper du spectre tout comme pour se tenir au courant de ce qui était en train de se passer. Mais à peine furent-ils arrivés qu’une plainte de souffrance jaillit de la gorge de la jeune fille quelques secondes seulement avant que le collier de contrainte de la jeune fille n’explose dans une nuée de cosmos violet et doré, soufflant chacun des chevaliers en les plaquant au sol avec une violence inouïe.
Quand l’épais nuage de poussière et de fumée se dissipa et qu’ils purent se remettre sur pieds, ils découvrirent les épées de cosmos plantées de façon anarchique des les murs, le sol ainsi que dans la cuisse d’Aphrodite qui n’avait pas pu se protéger à temps. Toutes étaient en train de disparaître en s’effritant à mesure qu’elles n’étaient plus alimentées par le cosmos qui les avait matérialisées car il n’y avait nulle trace de Shigure ou du spectre. Ils s’étaient volatilisés.
« Mais bon sang remue-toi un peu à la fin ! Tu nous ralentis plus que tu nous es utile ! » s’emporta Dohko contre Camus à la grande surprise de tous.
Il était vrai que le chevalier du Verseau avait été plus que transparent durant leur lutte contre Kuro et n’avait que peu d’excuse comparé à Aphrodite qui lui était grièvement blessé. D’ordinaire les chevaliers se serraient tous les coudes en cas de coup dur, mais là chacun allait de son avis et des clans commençaient même à se former et à diviser dangereusement leur communauté. Certes ils avaient perdu un de leur frère, mais l’enjeu de leur mission était bien trop important pour se permettre de baisser les bras ou de se laisser abattre. Le temps était un outil précieux et rare dont ils n’avaient pas le luxe de gaspiller. Chaque minute les séparant d’Aiolia ou de Fitz pouvait présager de lourdes conséquences, ils venaient d’en faire malheureusement les frais avec Shigure qui était passée, peut être contre son gré, dans les rangs de l’ennemi. Le moral des troupes au plus bas, l’épuisement général combiné à la dépense incessante de cosmos et d’énergie au combat, un chevalier blessé et un presque tué. L’ardoise des victimes de la jeune fille ne faisait que s’allonger passablement et n’arrangeait pas vraiment la progression du groupe dans leur mission de sauvetage.
Pendant que Shaka pansait la blessure que Kanon avait reçu à la cuisse et que Dohko s’évertuait à sortir Camus de son mutisme, Death Mask jubilait intérieurement. Jamais dans ses spéculations les plus folles il aurait pu penser que Shigure puisse infliger une telle raclée à son rival ! Même si ça ne voulait rien dire sur un possible rapprochement entre eux, il ne pouvait qu’apprécier grandement ce qui s’était déroulé et regrettait presque de n’avoir pu y assister. Et ce n’était pas le regard noir que lui lançait Kanon à cause du sourire condescendant qu’il arborait qui allait lui gâcher ce petit plaisir !
Aphrodite s’était laissé couler contre un rocher, trop mal en point pour supporter une minute de plus tout le poids de son corps sur ses jambes affaiblies. Il suait à grosses gouttes malgré les grelottements continuels qui le parcouraient de toute part. Il jeta un coup d’œil à sa blessure dans un mouvement qui lui coûta toutes ses forces dans une grimace de douleur. La plaie était devenue noire, suintante, et une multitude de ramifications de la même couleur en partait, se chargeant de disséminer le poison partout dans son organisme. Il laissa retomber sa tête contre la roche froide, résigné. Il ne lui restait plus beaucoup de temps à vivre…
Ce n’est qu’après moult reproches et à force de persuasion que les chevaliers de la Balance, de la Vierge et des Gémeaux purent redonner une étincelle de vigueur à leur camarade du Verseau. Il ne devait pas laisser le sacrifice de son ami vain. Il se battrait et emporterait avec lui tous les spectres qu’il pourrait au nom du disciple de Shion. Ils allaient se remettre en route, Dohko aidant Aphrodite et Kanon soutenant Shura, quand Camus eut l’idée de geler la plaie du chevalier du Capricorne.
« Je ne sais pas si ça aura réellement un quelconque effet mais au moins, avec le début de suture que tu as eu, ça ralentira au maximum une hémorragie. » déclara-t-il en joignant le geste à la parole à nouveau enfin maître de ses émotions et de son jugement méthodique.
Initiative grandement appréciée par le reste de l’équipe qui ne souhaitait pas perdre un autre de leur membre en ces lieux. Ils recommencèrent alors leur épopée à une allure aussi soutenue que leurs blessés pouvaient le leur permettre sans trop les ralentir ni risquer de les affaiblir plus qu’ils ne l’étaient déjà. Shura était livide. Son état bien que stationnaire était des plus inquiétants, pas un son n’était sorti de sa bouche depuis qu’il avait dû se mesurer à Shigure. Depuis lors, il demeurait comme pétrifié, le regard rivé sur un sol qu’il ne voyait pas, les jambes suivant le pas que lui imposait Kanon plus par réflexe que par envie, l’esprit se remémorant en boucle le geste qui avait failli lui coûter la vie dans tous les détails…
Leur course se ralentie soudain sur ordre de Shaka dont les sens restaient les plus affutés même aux enfers. Aux aguets, il semblait sonder les ténèbres environnantes comme s’il était le seul à pouvoir ressentir une force invisible pour le commun des mortels. Patients par nécessité, le reste des chevaliers attendait qu’il donne son aval pour la suite de la progression.
« Le prochain Cercle se trouve devant nous. Cependant…je sens quelque chose de malsain vivant en ces lieux. Quelque chose de mauvais…de très mauvais. » les prévint-il en fronçant les sourcils inquiet.
« Tsah ! Bienvenue au pays de l’enfer mon frère ! » lâcha Death Mask d’un ton sarcastique en ouvrant la voie dans un haussement d’épaule.
Un soupir de lassitude accueillit l’inconscience du chevalier du Cancer, mais ils lui emboîtèrent néanmoins tous le pas en restant sur le qui-vive. Les pressentiments de Shaka se révélaient être la majeur partie du temps exacts et, vu la vitalité de leur équipe, il valait mieux éviter les mauvaises surprises. Lentement, les chevaliers s’engouffrèrent dans un couloir encore plus sombre que tous ceux qu’ils avaient pu emprunter jusqu’à présent. Seules deux faibles lueurs blafardes vacillaient au loin, unique guide leur indiquant la voie à suivre. Tous espéraient ne pas tomber dans un piège à l’arrivée qui les affaibliraient et ralentiraient encore plus. Plus ils avançaient à travers les cercles infernaux et plus les esprits s’échauffaient, certains voulant en découdre au plus vite tandis que d’autres souhaitaient récupérer les prisonniers et décamper dans les plus brefs délais. La tension était à son comble car nul ne savait ce que lui réserverait le prochain palier à franchir pour se rapprocher d’Hadès ni combien il en restait pour lui faire enfin face… Qu’allaient-ils découvrir dans ce nouveau cercle ? Une foule de spectres à concasser ? Un nouvel ennemi encore plus puissant que les derniers vaincus ? Un de leur compagnon peut être bien ou un espace vide de tout combat avec un peu d’espoir. Mais y avait-il seulement la place pour l’espérance dans ces limbes alors qu’ils n’y rencontraient que morts et combats depuis leur arrivée?
Alors que leur imagination vagabondait au fil de leurs pas, la fin du corridor se profila tandis que leur guide semblait s’être stoppé quelques mètres plus loin. Les Gardiens Zodiacaux rejoignirent leur homologue du Cancer et ne purent que retenir leur souffle devant la gigantesque entrée qui s’offrait à eux. Faite d’un minerai noir des plus épais, toute la structure était gravée de fresques murales glauques, flanquée par endroits de statues encastrées dans le mur proches des gargouilles cherchant à happer les visiteurs de leurs griffes acérées. Toutes ces sculptures représentaient des démons avides de chair fraîche se repaissant d’hommes et de femmes dont les traits avaient particulièrement bien été travaillés pour que leur agonie soit représentative de l’horreur qu’ils pouvaient endurer. Certaines fresques montrait ces mêmes démons se complaignant dans diverses tortures sur de pauvres âmes en détresse qui ne pouvaient que subir les mauvais traitements que leurs bourreaux leur infligeait. Rongée par le temps ou cassées à divers endroits, certaines scènes étaient effacées ou en trop mauvais état pour pouvoir être lisibles. Sur le haut de l’entrée, on pouvait difficilement apercevoir les vestiges d’un visage dont seuls les traits d’une corne avaient été épargnés par le temps. Les lettres ‘λα’ formant anciennement le début d’un mot étaient les ultimes survivantes d’un terme dont la suite était tombée en lambeaux et serait à jamais oubliée.
Les chevaliers regardaient ce mur qui paraissait en ruine et qui pourtant tenait toujours debout grâce à son impressionnante épaisseur. L’atmosphère s’était comme alourdie depuis leur entrée dans ce nouveau cercle. L’air était glacé, pesant et le silence malsain n’engageait guère les combattants d’Athéna à continuer d’avancer. Leur sixième sens leur hurlait de ne pas s’aventurer plus loin, que quelque chose de terrifiant et de dangereux hantait ces lieux et ne leur laisserait aucun répit une fois l’immense voute franchie. Mais le courage n’était pas une qualité en reste chez la chevalerie. Aussi, prenant leur courage à deux mains et muent par le désir impérieux de sauver leurs amis, ils investirent prudemment les lieux sans vraiment savoir où ils se rendaient ni ce qu’ils allaient rencontrer…
Le corridor dans lequel ils marchaient était de la même couleur ébène que l’arche sous laquelle ils étaient passés. L’endroit était sombre, glauque. Une constante humidité suintait sur les murs noirs, les rendant poisseux et malodorants. Les parois craquelées par moments présentaient encore quelques anciennes gravures représentant nombre de scènes de tortures, de démons sadiques dépeçant leurs victimes ou tous autres sévices malveillants que les dieux du Bas Monde pouvaient imaginer. Certains pans de murs s’étaient à demi écroulés mais cependant jamais assez pour que les chevaliers puissent voir au-dessus ce que les attendaient… De même que les fréquents trous présents dans les cloisons étaient trop sombres pour leur permettre d’y voir quoi que ce soit. De plus, une vaine –mais pourtant bien pensée- tentative de Milo pour démolir les murs afin d’accélérer leur progression avait lamentablement échouée. Pour une obscure raison, les parois résistaient aussi bien aux attaques chargées en cosmos qu’aux simples coups de poing ou de pied. Le sol moite paraissait spongieux et collait par endroits sous leurs pas. De temps à autre, un craquement sinistre sous une semelle leur indiquait qu’ils avaient marché sur les restes d’un pauvre malheureux qui avait jadis eut l’infortune de s’aventurer par là.
L’odeur âpre et suffocante qui se dégageait des lieux les prenaient à la gorge et provoquait nombre de haut-le-cœur chez Aphrodite dont l’état de santé se dégradait à vue d’œil. La pâleur de sa peau évoquait celle d’un revenant, ses veines bleues ressortaient sur son visage accentuant son apparence mortuaire. De grosses gouttes de transpiration suintaient de ses pores lui plaquant ses mèches azurées d’une poisse maladive. Ses lèvres bleuies par le poison ne cessaient de régurgiter bile et sang dans une douleur devenue quasi insoutenable. Ses yeux cernés de fatigue et de souffrance étaient injectés de sang et semblaient lutter pour ne pas se fermer à tout jamais. Sa respiration lente se faisait rauque et sifflante. Aphrodite savait qu’il n’en avait plus pour longtemps. Dohko qui le soutenait comme il le pouvait voyait bien que son ami souffrait et peinait à se maintenir en vie. Cette vision le déchirait au plus profond de son âme et il enrageait de savoir qu’il ne pouvait rien faire pour le sauver. Leur dernier espoir aurait été de le confier au cosmos guérisseur de Shigure, mais son changement brutal de camp avait condamné le Chevalier des Poissons à une mort lente et douloureuse.
Les lumières vacillantes projetaient leurs ombres fantomatiques sur les murs sinistres de ce nouveau cercle. Au détour d’un couloir, une vision macabre se détacha soudain devant eux sous l’apparence d’une cage aux barreaux rouillés, tâchés de sang. Des restes d’organes et de morceaux de peau pendaient de certaines barres à divers stades de décomposition. A l’intérieur, une charpie méconnaissable des restes d’un corps humain. Probablement une femme vu les lambeaux d’un cuir chevelu plutôt long. Les résidus du cadavre étaient mangés par les vers et une puanteur insoutenable s’en dégageait. Peine et rage animaient les chevaliers à la vue d’une telle ignominie. Mais leur dégoût fut à son apogée lorsqu’ils remarquèrent le petit corps à demi dévoré d’un enfant que sa mère n’avait malheureusement pas pu sauver.
« Bon sang ! Quel genre de monstre peut s’adonner à de telles horreurs ?! » s’insurgea Kanon en frappant le mur du poing.
Mais aucun d’entre eux n’avaient la réponse. Tous étaient révoltés et n’avaient qu’une envie : mettre la main sur le dérangé qui avait commis ces atrocités et le lui faire regretter. C’est donc empli d’une nouvelle haine qu’ils se remirent en marche. Qui sait si leurs amis n’avaient pas subit le même sort funeste dans ce cercle ?
Tout à coup, leur épopée se vit stoppée devant un choix crucial : le couloir se divisait en deux face à eux.
« Putain…manquait plus qu’ça ! » râla Death Mask qui commençait réellement à en avoir marre de son séjour aux enfers.
« T’exprimer en gueulant n’arrangera pas les choses. » le reprit Milo pourtant tout aussi dépité que lui que leur quête n’en voit pas le bout.
« J’t’emmerde. J’suis là que pour récupérer Shigure, après je me casse d’ici ! Le reste j’en ai rien à foutre ! »
« Death Mask… » le prévint gentiment Dohko de ne pas commencer une nouvelle polémique surtout à côté de Shura.
« On doit aussi sauver Fitz et Aiolia ! » lui rappela Milo qui marchait droit dans son jeu.
Le Chevalier du Cancer aimait la provocation et se mesurer aux autres en prenant n’importe quel prétexte, simplement comme ça pour s’amuser, pour passer le temps. Et le Chevalier du Scorpion n’était pas en reste pour entrer dans ce genre de conflit. Tous deux savaient pertinemment que ce n’était ni le moment ni l’endroit pour entamer une querelle, mais la tension et la frustration accumulées depuis qu’ils avaient passés la porte du monde souterrain ne demandait qu’à s’exprimer pour s’évacuer sur le premier venu.
« Rien à battre des deux autres ! » reprit Death Mask encore plus hargneux que d’ordinaire.
« Un Chevalier d’Or se doit d’aider un frère ! » siffla Milo entre ses dents la tension montant de plus en plus.
« Je-m’en-tape ! » répliqua-t-il dans un sourire en faisant exprès de bien détacher chacun de ses mots.
« Je vais te… »
« Un labyrinthe. »
« Hein ? » lâcha Milo prit de court en stoppant le coup de poing qui avait failli partir dans la mâchoire de son camarade.
Tous regardèrent étonnés en direction de Shaka qui venait de prendre si subitement la parole que Milo et Death Mask en avaient oublié leur dispute.
« Ce cercle est un labyrinthe. » répéta calmement le Chevalier de la Vierge.
Tous se dévisagèrent interloqués. L’intervention de leur compagnon était si soudaine qu’ils ne savaient plus quoi dire.
« Il a raison…regardez. » acquiesça Shura résigné en désignant un promontoire à moitié éboulé sur lequel il avait put grimper.
Aussitôt, Kanon, Death Mask et Milo le rejoignirent et ce qu’ils virent alors leur assomma le moral au plus haut point. Un dédale de couloirs et d’impasses s’étendaient à perte de vue devant eux sans aucun moyen de savoir quel chemin serait le bon à emprunter. Les corridors s’enchainaient et se mouvaient dans les profondeurs tels des serpents malfaisants cherchant à piéger les visiteurs pour les gober. L’esquisse d’un cercle vers ce qui semblait être le centre du dédale avait des allures de sortie salvatrice mais qui était pourtant si loin… Rien n’indiquait s’il s’agissait d’un piège ou d’un passage vers le prochain cercle…
« Bordel de merde ! » lâcha Death Mask en crachant son mécontentement au sol.
« Voilà qui ne va pas nous avancer… » déplora Camus qui venait de se rapprocher.
« Comment savoir quel chemin est le bon… ? » souffla Kanon transpercé de désespoir.
« On a qu’à partir à gauche et puis c’est tout ! » déclara Milo en sautant au bas du muret.
Décision simple, claire et précise bien que potentiellement dangereuse si le chemin s’avérait ne pas être le bon. Athéna les garde d’avoir fait un mauvais choix.
« Allons-y. On n’a pas vraiment d’autre solution de toute façon… » annonça Dohko en soupirant pour couper court aux futures indécisions et rixes qui auraient suivies la décision de Milo.
Résignés, Ils lui emboîtèrent tous le pas, avec des réserves ou non mais ils ne pouvaient pas se permettre de tergiverser des heures pour aller à droite ou à gauche et laisser leurs amis plus longtemps sous la coupe d’Hadès.
Anxieux, ils suivaient leur instinct à travers ce dédale de direction, prenant tantôt à droite, allant une autre fois tout droit ou tournant à l’aveuglette sur la gauche sans trop savoir ce qu’ils faisaient. Plus ils progressaient et plus ils avaient l’impression de ne pas avancer. Ce pan de mur ne ressemblait-il pas à celui qu’ils venaient tout juste de passer ? Cette gravure n’était-elle pas celle qu’ils avaient décryptée en pénétrant dans le labyrinthe ? Et cette cage avec ce tas d’ossements et ces corps en décomposition ? Ah ! Un cul de sac ! Aurait-il fallu tourner à droite à l’embranchement précédent? Ou bien était-ce à gauche ? Ils ne savaient plus. Tous les couloirs se ressemblaient sans aucune distinction. Ils ne savaient pas depuis combien de temps ils marchaient ni le nombre de couloirs qu’ils avaient empruntés. Ils étaient perdus…
« Wuaaah ! Abandonne misérable larve, tu ne me vaincras jamais !! » hurlait le Spartiate pour couvrir le bruit de leurs attaques.
« Sur mon honneur et celui d’Athéna : jamais ! » rétorqua sèchement Aldébaran sur le même ton que son adversaire.
Leurs deux puissantes offensives se confrontaient dans un chaos apocalyptique. L’afflux de cosmos était fulgurant et projetait des gerbes d’énergie mauves et dorées partout dans le Troisième Cercle. Illuminé par une explosion digne de la fin du monde, la propriété du Spartiate tombait complètement en ruines. Les pans de la grotte s’effritaient, stalagmites et stalactites éclataient avec fracas de même que d’immenses blocs rocheux s’écrasaient au sol en créant d’innombrables gouffres dans leur chute. L’unique pont de pierres où ils se livraient bataille tremblait et grondait dangereusement à mesure que le combat gagnait en ampleur. Les craquements sinistres qu’il émettait et les bouts de matière s’en échappant menaçaient de le faire s’écrouler à tout moment, le poids des deux soldats en armure n’arrangeant rien à sa durée de vie. Mais les deux géants continuaient de s’affronter comme si de rien n’était, faisant fi des cailloux qui leur tombaient dessus et du sol branlant sous leurs pas. Leur rixe durait depuis déjà des heures sans qu’aucun vainqueur ne ressorte clairement.
Une partie de l’armure dorsale et de l’épaulette droite d’Aldébaran avaient volé en éclats, laissant apparaître des hématomes bleuissant et des plaies sanguinolentes. Son casque avait été projeté au loin dans une pluie de gravats qui lui avaient laissé une lésion ouverte sur son cuir chevelu et qui saignait abondamment. Une double fracture ouverte du radius et du cubitus le faisait souffrir le martyr pour contenir et lancer des représailles et les os saillaient toujours un peu plus à chaque nouvel échange. Le Spartiate quant à lui souffrait de multiples ecchymoses dues à l’éclatement de son armure ventrale. Quelques organes internes avaient dû être touchés mais ce n’était pas ces petites égratignures qui l’empêcheraient de se battre ! Il avait déjà connu bien pire et ne se rendrait sous aucun prétexte et encore moins pour si peu. Son honneur était en jeu ! Pour une fois, il avait trouvé un adversaire digne de l’affronter et il comptait bien en profiter pour s’offrir son meilleur combat.
Usant de toute sa force et de sa détermination, il réitéra son ‘Wrath of Sparta’ pour affaiblir encore plus son rival. Le sol se mit à gémir sous la puissance de l’impact allant même jusqu’à céder par endroits. Aldébaran eut bien du mal à contenir ce nouvel assaut et se vit repoussé avec force vers le vide menaçant. Il sentit avec horreur les cailloux glisser sous lui dans les abysses et lutta pour ne pas les y rejoindre. Son bras transpercé par ses os était si douloureux qu’il manquait parfois de s’évanouir sous le choc de la déflagration reçue. Le bout tranchant de son radius avait cisaillé un morceau de son muscle radial, ajoutant encore plus de souffrance à son calvaire déjà insoutenable. Il tenta de répliquer par son ‘Great Horn’ mais le coup qu’il lança n’eut pas la puissance escomptée : la blessure à son bras affaiblissait considérablement sa portée et sa force. Il jura dans sa langue natale. Manquait plus qu’ça !
« Il suffit chevalier, abandonne ou bats-toi mais cesse de m’ennuyer et de gâcher ce combat en ne faisant que te défendre ! » l’apostropha le Gardien lassé par tous ces vains échanges.
Mais malgré tout son courage et sa ténacité, Aldébaran était épuisé. Terrassé par la douleur, il réussi néanmoins à envoyer une nouvelle attaque sourd aux crocs acérés de son os brisé déchirant ses chairs. Mais en dépit de toute la volonté qu’il pouvait y mettre, son attaque fut balayée sans ménagement par le Spartiate. La réplique qu’il se prit en réponse la projeta sur plusieurs mètres avant de le faire lourdement tomber sur le sol. Un hurlement de souffrance s’échappa de sa gorge sans qu’il ne puisse le contrôler. Un pic de douleur le traversa de part en part lorsqu’il s’appuya par réflexe sur son bras blessé pour se relever. Il voulu bouger, mais rien ne se produisit. Il fronça les sourcils et s’examina puis ferma un instant les yeux, résigné. Son bras ne répondait plus. Les terminaisons nerveuses avaient sûrement dû être sectionnées durant sa chute rendant son bras inerte, inutile. La force de ses attaques comme de ses défenses résidait dans l’utilisation de ses membres supérieurs. Privé d’un de ces derniers, il se retrouvait dans l’impossibilité de combattre.
‘Alors c’est fini… Mon combat s’achève ici.’ Pensa-t-il démoralisé.
Sa quête terminée, le sauvetage des filles et d’Aiolia raté, son aide pour donner de l’avance aux autres fortuite, son combat un échec. Quel pire palmarès pouvait-il récolter ? Il avait failli à son devoir de chevalier, trahit la confiance qu’Athéna avait en lui, brisé les espoirs que ses amis avaient fondés lorsqu’il avait prit la responsabilité d’éliminer la menace de ce cercle pour leur permettre d’avancer, condamné ses compagnons prisonniers à un sort funeste…
Jamais il ne pourrait se pardonner tout ça, jamais. Il allait mourir ici en ayant manqué à tous ses devoirs. Quelle honte pour la chevalerie d’Athéna.
« Stupide larve ignorante. Tu ne vaux pas plus que tous ceux que j’ai déjà combattus jusqu’à présent. Tu es faible, imbu de toi-même et fier d’une force que tu ne possèdes pas. Et dire que je pensais que tu valais la peine de t’affronter… Maintenant tu vas mourir et je vais aller en finir avec ceux qui ont eut l’outrecuidance de s’aventurer au-delà de mon Cercle. Peut être même que j’irai dans un même temps m’amuser à torturer ceux que vous êtes venus –en vain- secourir. Il faut bien que je passe ma frustration sur quelqu’un… » déclara-t-il d’un ton las en préparant son attaque finale.
Comment ? L’affronter était une perte de temps ? La puissance et la renommée d’un chevalier d’Athéna, risibles ? Pareille insulte ne pouvait être tolérée ni rester impunie ! Il ne pouvait pas laisser ce suppôt d’Hadès souiller le nom de sa déesse ainsi que la réputation de ses guerriers sans réagir !
Aldébaran leva alors vers lui un regard chargé de rage et d’une nouvelle détermination. Sourd à la douleur lancinante qui lui tiraillait le bras, il se releva empreint d’une volonté sans faille.
« Profaner ainsi le nom de ma déesse est intolérable ! Je suis peut être à bout de forces et pas à la hauteur d’une rivalité avec un spectre, mais ce que je peux jurer c’est que, même si cela signifie ma mort, jamais je ne laisserais gagner et franchir ce pont pour faire d’autres victimes innocentes. » exposa-t-il calmement en lui faisant face de toute sa hauteur.
Campé sur ses pieds écartés et fermement ancrés dans le sol, son bras valide dirigé vers le Spartiate, il commença à augmenter progressivement son cosmos pour mettre fin au règne de terreur de son adversaire. Démarche qui déplut fortement au Gardien et le mit dans une colère noire.
« Pauvre fou ! Tu penses vraiment pouvoir m’arrêter alors que tu étais largement surpassé depuis le début du combat ?! Ecarte-toi et je te promets une mort rapide et indolore. » lui conseilla-t-il en s’avançant vers lui d’un pas comminatoire.
« Pour Athéna… Et pour tous les chevaliers qui combattent à mes côtés ! » déclara Aldébaran en poussant son cosmos à son paroxysme.
« Meurs pauvre imbécile ! » hurla le Spartiate dans une montée fulgurante de cosmos en se ruant sur lui.
« TU-NE-PASSERAS-PAS !! » vociféra-t-il en concentrant toute son énergie dans son bras.
« WRATH OF SPARTA !! »
« GREAT HORN !! »
Le choc de l’affrontement fut d’une violence extrême si bien qu’elle résonna jusqu’au plus profond des enfers. Le Cercle tout entier trembla et se déchira. Le plafond s’émietta en blocs de plusieurs tonnes qui jaillirent dans toutes les directions. Les murs se fissurèrent dans les cris d’agonie et de panique des âmes enfermées en leurs seins lorsque ces dernières furent propulsées hors de leur prison vers les abysses infernales. Une stalactite immense se brisa en mille morceaux derrière Aldébaran, bloquant la sortie d’innombrables gravats et le privant ainsi de toute retraite envisageable. Le pont de pierre gronda sous leurs pieds, funeste message d’une inévitable chute future. De fines perles de sang churent en silence sur le sol poussiéreux traçant leur passage sur l’armure dorée qui venait d’être frappée. Le poing du Spartiate avait tourné au carmin après être passé à travers l’abdomen d’Aldébaran. Un rictus de triomphe carnassier déformait son visage à la vue du corps mortellement blessé du chevalier d’Athéna. Pourtant le protecteur de la Maison du Taureau ne se tordait pas de douleur et n’affichait pas les habituels signes de souffrance et d’agonie que ce genre de blessure colportait. Au contraire, un large sourire triste était affiché sur son faciès et lorsqu’il enferma l’avant-bras du spectre dans sa poigne, le rictus du Gardien se décomposa.
« Non… Tu n’aurais quand même pas… »
Mais le grondement qui lui répondit en provenance du plafond confirma toutes ses craintes. Un énorme bloc vint choir juste derrière lui dans un fracas assourdissant qui fit vibrer tout le cercle, entrainant dans sa chute une grosse partie du pont avec lui. Le Spartiate fut déséquilibré et vacilla tant qu’il aurait suivit le même chemin si Aldébaran ne le maintenait pas d’une poigne de fer.
« Non… C’est impossible ! Pas moi, pas une erreur de débutant… » se mit à geindre le Gardien victime pour la première fois des effets de la défaite.
Il s’était tellement focalisé sur la mort de son adversaire qu’il avait négligé son intelligence. Son excès de confiance l’avait fait se concentrer sur ses propres coups, pas une fois il n’avait remarqué que l’attaque du Chevalier du Taureau n’était pas dirigée contre lui…mais vers le plafond qui s’effondrait à présent sur eux. Un énième rocher de plus d’une tonne se décrocha de la voute et fondit droit sur eux.
« Non… NON !! Je suis un Spartiate ! Je ne peux pas mourir !!» hurla le Spartiate les yeux soudain déformés par la peur de la mort.
‘Mes frères…je suis désolé.’ pensa tristement Aldébaran.
Il ferma les yeux et le rocher s’écrasa sur eux.
Kuro marchait à travers le dédale de couloirs menant vers l’antichambre où Fitz était retenue prisonnière. Il avançait d’un pas pressé et assuré, sachant parfaitement où et quand tourner pour ne pas se perdre dans les méandres des enfers. Dans ses bras reposait Shigure, évanouie. Blessée, de faibles gémissements s’échappaient de sa gorge entrecoupés par sa respiration sifflante. De temps à autre, un spasme la secouait puis, plus rien. Kuro était presque arrivé à destination lorsqu’un immense bruit retentit dans tous les enfers suivit presque aussitôt d’un tremblement qui fit frémir jusqu’au couloir dans lequel il se trouvait. Avant qu’il ait put se demander ce qu’il se passait, la jeune fille s’éveilla dans un sursaut, en larmes, la respiration bloquée en aspiration sans pouvoir arriver à recracher tout l’air ingurgité bloqué dans ses poumons. La panique la submergeait, elle suffoquait. Kuro d’ordinaire pourtant si impassible fronça les sourcils et se rua en direction d’une porte sombre au bout du couloir sans prêter la moindre attention aux gardes qui se demandaient ce qui se passait. Il devait faire vite, il ne lui restait certainement plus beaucoup de temps.
Ouvrant la porte d’un violent coup de pied, il pénétra en trombes dans la pièce avant de refermer le battant de manière toute aussi sèche. Alors qu’il écoutait le remue-ménage se passant de l’autre côté de la porte, Shigure émit soudain un petit cri perçant suivit d’un ‘crac’ sonore. Etonné, Kuro regarda ce qui clochait chez elle. La jeune fille se débattit en scandant le nom de son amie prisonnière dans la bulle aqueuse. Elle asséna un coup de coude dans le plexus du spectre qui la lâcha dans un grognement.
« FITZ !! » hurla-t-elle en s’écrasant au sol les muscles transis de fatigue et endoloris.
Elle rampa jusqu’à son ancienne colocataire en l’appelant sans cesse, mais son amie ne l’entendait pas. Elle eut beau essayer de lui parler, de hurler, de taper sur la bulle, rien n’y fit. Fitz demeurait toujours muette dans sa prison violacée. Elle n’avait pas du tout conscience de la présence de Kuro qui la fixait avec insistance.
Le spectre reprenait son souffle en scrutant son ancienne captive, elle ne semblait plus sous l’emprise du maître des lieux. Il se redressa et fit un pas en avant quand quelque chose craqua sous son pied. Il regarda par réflexe ce dont il s’agissait et son regard s’illumina soudain. Ca y est. Enfin ! Le moment tant attendu était arrivé ! Là, devant lui, les morceaux du collier éparpillés au sol ne pouvaient signifier qu’une seule chose : la libération de la jeune fille du sortilège d’Hadès ! A présent il était libre de pouvoir l’utiliser à ses propres fins !
« Non… Pas vous… ! » s’exprima enfin Shigure en se rendant compte qu’elle n’était pas seule.
Kuro la regarda se recroqueviller contre la prison de son amie comme pour essayer de la protéger en même temps qu’elle.
« Non…je ne… »
Il s’arrêta, il ne savait pas par où commencer. Elle le voyait comme un ennemi, ce qui était bien normal. C’était lui qui les avaient combattues, lui qui avait enlevé Fitz devant ses yeux et à la barbe des autres chevaliers, lui qui suppléait la jeune fille quand elle se battait contre ses amis… Pas étonnant qu’elle le craigne alors qu’il devait jouer son rôle jusqu’au moment opportun, mais il ne s’attendait pas non plus à ce qu’elle croit ce qu’il devait lui dire…
« Je peux vous aider à vous en sortir, Fitz et toi. Mais il va falloir que tu me fasses confiance. » hasarda-t-il maladroitement pour commencer une approche.
Shigure lâcha un petit rire nerveux, se moquait-il d’elle délibérément ? Ou bien était-ce un nouveau jeu d’Hadès pour la faire souffrir un peu plus ? Il était au service du Dieu des Enfers et il avait fait énormément de dégâts pour Fitz, dans les rangs d’Athéna tout comme à elle. Jamais elle ne pourrait se fier à lui-même s’il prétendait pouvoir les aider. C’était forcément une ruse pour les piéger et se servir d’elles de manière encore plus ignoble !
Kuro vit tout cela dans ses yeux, elle ne le croyait pas. Comment aurait-elle put de toute façon ? Il soupira, la tâche se présentait très ardue. Il allait devoir user de toute la sincérité du monde et la convaincre de son bon fond pour la persuader qu’il ne leur voulait aucun mal.
« Ecoute, reprit-il après un nouveau soupir, j’étais obligé de faire ça. Je ne voulais pas vous faire du mal, ni à toi ni à Fitz. » déclara-t-il en arrêtant son regard sur la prisonnière les yeux emplis d’une certaine tristesse.
La voir ainsi captive sans rien pouvoir faire lui faisait mal au cœur. Si ça n’avait tenu qu’à lui, cela fait bien longtemps qu’il lui aurait rendu sa liberté et qui les aurait aidé à s’enfuir d’ici. Mais un tel acte ne serait pas passé inaperçu et les représailles, autant pour les jeunes filles que pour lui auraient été d’une cruauté inimaginable… Mais à présent peu lui importait, l’heure n’était plus aux états d’âme, il devait faire vite.
« Je sais que ce que je vais te dire va te sembler faux et tu penseras certainement que c’est une histoire montée de toute pièce pour te faire tomber dans un piège, mais je ne ferais que te dire la vérité. Crois-moi ou non mais le temps presse et il serait mieux pour ta survie et celle de Fitz que tu écoutes ce que j’ai à te dire et surtout que tu te fies à moi. »
La jeune fille ne cessait de le fixer plus méfiante que jamais. De quoi parlait-il ? Pourquoi n’y avait-il plus assez de temps ? Et pour quel motif ? Elle se recula un peu plus contre la prison de son amie lorsqu’il commença son récit en marchant à travers la pièce.
« Je ne suis pas entré au service d’Hadès par volonté, j’y ai été contraint. Commença-t-il le regard sombre hanté par les fantômes de son passé. Ma sœur…ma chère Elina…on est orphelins tu sais. On a grandit ensembles et j’ai toujours tout fait pour la protéger des atrocités de ce monde. Elle est tellement fragile… Si douce, la bonté à l’état pur et l’incarnation de la gentillesse. »
Un sourire de bienveillance apparu sur son visage en repensant à cette sœur dont Shigure ignorait tout. Elle ne savait même pas pourquoi il lui racontait ça, ça ne la regardait pas et elle n’avait strictement rien à faire de l’histoire de son ravisseur. S’il cherchait à l’attendrir c’était plutôt raté, elle se gardait de lui comme de la peste et faisait en sorte de toujours le garder en vue lorsqu’il arpentait la pièce. Elle le jaugeait du regard et se crispa lorsqu’elle le vit s’arrêter devant Fitz en la contemplant, le regard perdu dans le vague, comme s’il se rappelait d’un moment douloureux de son passé.
« Mais un jour, alors qu’elle entrait à peine dans l’année de ses vingt ans, elle tomba malade… Je ne sais pas quelle affection virulente l’a contaminé ni comment mais…toujours est-il qu’elle a commencé à se faner. Sa peau si blanche était devenue laiteuse, ses beaux cheveux d’or étaient devenus ternes, filandreux et cassants. Ses yeux avaient perdus leur éclat rieur et n’affichaient plus que tristesse et souffrance, son sourire s’était éteint et ses lèvres roses s’étaient craquelées. Elle avait beaucoup maigrit aussi, mais elle avait conservé ce calme et cette gentillesse qui lui étaient propres. Elle se savait condamnée mais elle refusait que je m’en fasse pour elle ou que je sois attristé par ce qui lui arrivait. C’était injuste, elle n’avait jamais rien fait de mal alors pourquoi elle ? Le jour où elle est partie…j’ai cru sombrer dans la folie. Je n’arrivais pas à réaliser qu’elle m’avait quitté à jamais, que je ne la verrais plus se lever le matin en me gratifiant de son sourire et de sa bonne humeur ou que je n’entendrais plus son rire cristallin s’émerveiller sur la moindre petite chose…
Lorsque je l’ai réalisé il était bien trop tard, Elina…mon petit éclat de soleil* s’était éteint et j’avais laissé libre court au côté noir de mon cœur. J’en voulais à la terre entière de m’avoir enlevé ma sœur unique et de m’avoir laissé seul, perdu et livré à moi-même. Bien que plus vieux qu’elle je n’étais pas préparé à vivre seul et je suis devenu violent. Avec les autres, avec mon corps, avec mon esprit… Je ne tenais plus à la vie et me moquait éperdument de commettre des actes qui pouvaient me tuer. Je croyais la voir partout, entendre sa voix m’appeler… Et un jour je n’ai plus put supporter ces visions et je me suis ouvert les veines, la seule libération à mon tourment. Avec mon sang s’écoulait ma peine et j’éprouvais enfin un sentiment de paix car j’allais pouvoir la rejoindre ! Et c’est alors que, au moment où je sentais le drap de la mort s’étendre sur moi, une personne s’est présentée à moi. Elle s’est présentée sous les traits d’une très belle femme à la peau d’albâtre et à la chevelure d’ébène dans une longue robe de ténèbres et parée de discret bijoux d’or. Une fleur mauve dans ses cheveux perdait ses pétales dans les tourbillons de vent qui faisaient virevolter ses cheveux. J’ai d’abord cru qu’il s’agissait de la faucheuse qui venait en personne m’ôter la vie. Elle s’est approchée de moi sans un bruit et m’a regardé un long moment sans dire un mot. Je la dévisageais moi aussi à demi dans le brouillard lorsqu’elle s’est accroupie avec un fin sourire. Ses yeux, je m’en rappellerais toujours, elle avait des yeux d’un violet si clair pour quelqu’un de si sombre… Et elle a prit la parole, d’une voix claire, pure mais grave pour une femme.
‘Mon Maître a vu le malheur qui t’est arrivé et il a eut pitié de toi. Il t’offre de te rendre ta sœur en échange de ton enrôlement dans son armée. C’est un acte de bonté venu d’un Dieu qui se soucie de toi, prends deux minutes pour réfléchir à sa proposition mais fais le bon choix. Mon Maître peut faire un don mais il ne te formulera pas une seconde fois la même demande.’ M’a-t-elle dit en me transperçant de son regard comme si elle pouvait me sonder jusqu’au plus profond de mon être.
Je savais que me rendre ma sœur était impossible. Elle était morte et je devais l’être moi aussi si je voulais la revoir. Et pourtant, emplis de désespoir, j’ai accepté l’offre. C’était pure folie, maintenant je ne le sais que trop bien, mais je désirais tellement être avec elle de nouveau qu’être au service d’un dieu me paraissait n’être en aucun cas une mauvaise chose. J’avais tort, j’ai été naïf et aveuglé par la douleur de la perte de ma sœur. Je n’ai pas réfléchis. La jeune femme m’a sourit de nouveau et s’est redressée avec la grâce d’une immortelle.
‘Bien, en gage de te bonne foi et de ta soumission envers mon Maître, je vais te prendre ton âme !’
Et elle s’est exécutée. (Il fit une courte pause dans son récit le temps de fermer les yeux comme pour mieux se rappeler ce souvenir très douloureux.) Elle a sorti de nulle part un immense trident et me l’a planté dans le thorax en gardant ce sourire froid sur son visage de marbre. Puis elle le retira d’un coup tout aussi sec avec, coincé entre les pics acérés, une sorte de silhouette à mi-chemin entre la transparence et le bleuté. Je hoquetais et suffoquais mais je n’arrivais pas à en croire mes yeux, étais-ce réellement mon âme qu’elle venait d’ôter de mon corps ?
‘Bienvenue aux Enfers…cher Kuro.’
Ce furent ses dernières paroles avant que je sombre dans l’inconscience. Je pensais être mort et que mon hémorragie m’avait fait avoir une hallucination. Mais, par miracle ou par malheur, j’ai fini par me réveiller et je me trouvais ici, aux enfers. Enchaîné pour toujours à un choix qui m’avait condamné à être le serviteur d’un dieu cruel et manipulateur pour une promesse qui ne verra jamais le jour. » (* En grec, Elina signifie ‘éclat de soleil’)
Il stoppa son monologue, le regard chargé des souvenirs douloureux qu’il n’avait probablement dévoilé à personne jusqu’à présent. Avait-il terminé son histoire ou faisait-il simplement une pause le temps de rassembler les fragments de son passé ? Shigure ne savait plus quoi penser avec ces révélations. Etait-il vraiment méchant ? Ou était-ce simplement une ruse le temps que des renforts arrivent pour la mettre hors d’état de nuire ? D’un autre côté, le sadisme de Pandore était bien reconnaissable dans son récit… Mentait-il ou avait-il vraiment subit toutes ces mésaventures ?
« Pourquoi me dîtes-vous ça ? » finit-elle par demander d’une voix toujours suspicieuse.
Un long silence accueillit sa question. Soit il réfléchissait à ce qu’il allait dire pour pouvoir l’embrouiller un peu plus, soit la réponse lui était douloureuse à exprimer. Kuro soupira avant de reprendre.
« Parce que je souhaite vous aider, toi et…et Fitz. » déclara-t-il en regardant tristement la jeune fille retenue en otage.
Il s’approcha de la prison et contempla Fitz d’un regard triste et envieux. Il apposa délicatement sa main sur la surface aqueuse au niveau de son visage, comme s’il cherchait à lui caresser la joue. Shigure se releva d’un bond et était prête à lui hurler de ne pas s’approcher de son amie, mais il fut plus rapide qu’elle dans la prise de parole.
« Elle est si belle… Un visage si doux… Elle me rappelle mon Elina… »
Shigure fut si scotchée par cette déclaration qu’elle en perdit tous ses mots. Leur ennemi…’amoureux’ de Fitz ? Non…impossible ! Il l’avait enlevé ! Il l’avait livré à Hadès sans aucun état d’âme ! Elle ne pouvait pas le croire !
« Quand j’ai vu ce qu’ils projetaient de faire et ce qu’ils t’avaient déjà fait… Je suis désolé, je ne veux pas qu’ils lui fassent ce qu’ils t’ont fait. J’étais obligé de suivre les ordres pour attendre le bon moment. L’heure où je pourrais vous demander votre aide pour sauver ma sœur en échange de la mienne pour vous faire sortir d’ici ! »
Shigure en était plus que sidérée. Leur ennemi voulait à présent les épauler ? C’était à n’y rien comprendre ! Il était à la solde d’Hadès, un tel revirement de situation n’avait aucun sens ! Il n’avait eu aucun remord jusqu’à présent lorsqu’il la maltraitait et encore moins quand il avait ravit Fitz lors de son combat au Sanctuaire. Et pourtant…en le regardant il paraissait sincère quand il disait vouloir les aider. Elle était perdue, devait-elle le croire au risque de tomber dans un piège ? Ou lui faire confiance pour pouvoir s’évader d’ici ?
BLAM !
Un bruit soudain la tira de ses sombres réflexions en la faisant violemment sursauter.
« Alerte ! Alerte ! Il y a un traître parmi nous!! Alerte ! » hurla un garde en partant en courant après avoir claqué la porte derrière lui.
Shigure ne compris pas tout de suite ce qui venait de se passer, encore trop sous le choc des révélations de Kuro et de sa récente récupération de ses facultés. Si elle ne réagit pas à la menace du spectre venant de sonner l’alarme, Kuro s’en chargea pour elle et démarra au quart de tour pour prendre les choses en main.
« Mince, je ne pensais pas me faire repérer si tôt… Shigure, je t’en prie tu dois me croire ! Le temps presse, dans quelques secondes la moitié de la garde spectrale va débarquer ici et t’obliger à redevenir la marionnette d’Hadès quel qu’en soit le prix… » la pressa-t-elle pour la ramener à la réalité.
Mais la jeune fille demeurait absente et toujours réticente quant à accorder sa confiance à l’homme qui l’avait martyrisée depuis son arrivée aux enfers. Elle ne voulait certes pas retourner aux mains du Seigneur du Monde Souterrain, mais elle n’arrivait pas à savoir si ce Kuro lui disait la vérité ou s’il avait monté cette histoire de sœur malade enlevée par Hadès de toute pièce.
Les gardes s’activaient au-dehors, on entendait leur remue-ménage à travers l’épaisse porte avec le cliquetis des armes s’entrechoquant, le grincement des armures et les cris hurlés dans tous les coins pour rameuter le plus de renforts.
SBAF !
Les yeux ronds et grands ouverts, Shigure ne comprit pas ce qui s’était passé quand sa joue se mit à la brûler et sa lèvre à la piquer. Elle passa machinalement sa main à l’endroit endolorit et sentit que sa joue était chaude et que le sang venait sans aucun doute du fait qu’elle se soit mordue. Elle regarda Kuro, la main qui venait de la frapper toujours en suspend dans le vide.
« Pardonne-moi, mais tu dois t’échapper. Tu ne peux pas être re-capturée par Hadès, tu dois te sauver ! Maintenant ! Ou tu ne pourras jamais retrouver tes amis ni libérer Fitz !! » lui cria-t-il presque dessus pour tenter de la faire sortir de sa léthargie.
Les deux jeunes gens se fixaient intensément, l’un avec de la détresse et une détermination sans faille, l’autre avec de l’incompréhension mêlé à de l’étonnement. Kuro paraissait le plus sincère du monde quand il affirmait vouloir l’aider à s’échapper et à délivrer son amie. Son regard lui hurlait qu’il était honnête et qu’elle devait le croire au plus vite si elle voulait espérer rester libre et en vie… Elle glissa un coup d’œil furtif vers la pauvre Fitz toujours retenue prisonnière dans sa bulle violacée, elle ne pouvait pas la laisser dans cet état là. C’était tout bonnement impensable ! Les pas pressés retentissant dans le couloir et les éclats de voix lui parvenant lui indiquèrent que leur sort n’allait pas tarder à être scellé si elle ne se ressaisissait pas vite. Elle n’avait guère d’autre solution : elle devait faire confiance à Kuro !
« Qu’est-ce que je dois faire ? » demanda-t-elle enfin d’une petite voix paniquée.
Kuro ne put retenir un soupir de soulagement, elle avait enfin fait le bon choix ! S’ils se dépêchaient, ils auraient une chance de s’en sortir !
« Tu dois partir d’ici, on ne peut pas déplacer Fitz pour le moment parce que je ne sais pas ce qui pourrait se passer si on l’ôte de son cocon. Mais il faudra que tu reviennes la chercher…plus tard…quand le danger sera écarté et que tu auras rejoint tes amis. Mais pour le moment tu dois te mettre en sécurité. »
« Mais comment ? Je ne sais pas où aller ni comment je devrais faire pour retrouver mon chemin jusqu’ici ! » lui répondit-elle submergée par le désespoir et la panique montant à mesure que le bruit des gardes témoignait de leur entrain à vouloir enfoncer la porte.
« Je te protègerais. J’occuperais les spectres jusqu’à ce que tu sois à l’abri loin d’ici. Approche, je vais te donner quelque chose qui te permettra de te guider à travers ce dédale. »
Docile et n’ayant guère d’autre choix que de croire en la bonne foi de son ancien ravisseur, Shigure s’approcha lentement de lui-même si elle n’était pas bien sûre de ce qu’elle était en train de faire. Le brouhaha catastrophique des spectres cherchant à enfoncer la porte la stressait et l’effrayait au plus haut point. Elle pressa le pas vers Kuro lorsqu’elle entendit une voix grave et manifestement exécrée au plus haut point cracher des ordres et insulter l’incompétence des sous-fifres tenus en échec par une vulgaire porte.
Kuro apposa alors sa main sur le front de la jeune fille qui, malgré un frisson de crainte, le laissa opérer bien étonnée et ignare face à ce qu’il essayait de faire. Une faible lumière blanche s’échappa alors de sa paume, spectre fugace cherchant à imprégner l’esprit de la jeune fille craintive. Pourtant, une étrange et douce chaleur passait sur son front, apaisant ses peurs sans qu’elle s’en aperçoive. Un fil blanchâtre relia le creux de la main du spectre à un point invisible entre les sourcils de la jeune fille. Soudain, la bouche ouverte de stupeur, un électrochoc la traversa et une multitude d’images défilèrent devant ses yeux sans comprendre d’où elles venaient.
« Mais…mais qu’est-ce qu’il se passe ? » balbutia-t-elle abasourdie par le flot d’informations qui s’implantait dans son cerveau.
Les images s’enchaînaient à toute allure, si vite qu’elle était incapable de retenir quelle séquence s’était allumée avant celle qui venait de s’afficher devant elle. Des couloirs, un endroit sombre, hop un tournant rapide sur la droite, puis la gauche et encore une succession de chemins qu’elles ne comprenaient pas. Encore des endroits sombres, de l’eau, puis une intense lumière bleue pâle qui la fit se protéger par réflexe, un escalier, le noir, toujours des couloirs de ténèbres puis mal éclairés par des torches aux flammes vacillantes. Gauche, droite, droite, gauche, droite puis tout droit et encore à…gauche ? Elle ne savait pas, tout allait beaucoup trop vite… Gauche, droite, droite et enfin une porte. Une lourde porte noire s’ouvrant sur la projection de Fitz, flottant prisonnière dans sa cellule violacée.
Le contact fut rompu des plus brutalement, laissant la jeune fille haletante ne comprenant pas ce qui lui était arrivé. Il lui semblait que la quantité d’images était venue s’encastrer quelque part dans son cerveau et lui donnait le tournis en attendant de pouvoir être libérées. Cette expérience la rendait presque malade et elle toussait à pratiquement rendre la bile de son estomac. Mais déjà Kuro ne s’occupait plus d’elle et s’afférait à matérialiser une de ses fameuses portes de cosmos lui permettant de se déplacer vite sans se faire repérer. Il ne paraissait pas le moins du monde affecté par la manipulation qu’il venait de tenter sur la jeune fille.
« Entre, nous n’avons plus beaucoup de temps. Je vais t’envoyer en sécurité dans un Cercle où même les spectres mettront du temps à te localiser. » lui commanda-t-il une fois le passage achevé.
Mais Shigure ne bougea pas. Elle restait là, interdite, à le fixer comme si elle ne comprenait pas les paroles qu’il venait de prononcer. Un soupçon d’impatience traversa le regard de Kuro qui ne comprenait pas pourquoi elle mettait tant de temps pour sauver sa vie.
Un gros coup sourd contre la porte les fit tout deux tourner la tête, Shigure en sursautant de peur et Kuro en jurant entre ses dents.
« Allez !! Il n’y a pas une seconde à perdre ! » la pressa-t-il alors que les coups redoublaient de violence ponctués par des cris de rage de l’autre c |